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quatre murs de leur chambre. On se souvient[1] que Mademoiselle, lorsqu’elle venait à Saint-Germain chez la Reine-mère, apportait ses meubles et amenait son cuisinier. Elle n’était même pas nourrie. C’était la règle générale. Louis XIV voulut être plus hospitalier, et commença sa réforme par Versailles. — « Ce qui est fort particulier en cette maison, écrivait Colbert en 1663, est que Sa Majesté a voulu que toutes les personnes auxquelles elle donne des appartemens soient meublées. Elle fait donner à manger à tout le monde et fait fournir jusqu’au bois et aux bougies dans toutes les chambres, ce qui n’a jamais été pratiqué dans les maisons royales. » Colbert est évidemment de mauvaise humeur. Il n’y avait pourtant guère d’appartemens à donner dans le château de Versailles ; les six cents invités s’en aperçurent de reste. Le Journal d’Olivier d’Ormesson contient à la date du 13 mai les lignes que voici : « Ce même jour, Mme de Sévigné nous conta les divertissemens de Versailles, qui avaient duré depuis le mercredi jusqu’au dimanche[2], en courses de bague, ballets, comédies, feux d’artifice et autres inventions fort belles ; que tous les courtisans étaient enragés ; car le Roi ne prenait soin d’aucun d’eux, et MM. de Guise et d’Elbeuf n’avaient pas quasi un trou pour se mettre à couvert. » Notez que le duc de Guise allait avoir à se costumer, avec toute sa « livrée. »

Le thème de la fête avait été tiré du Roland furieux, et agrémenté d’épisodes de circonstance, par un courtisan expert à ces sortes d’ouvrages, le duc de Saint-Aignan. Pendant trois jours et trois nuits, une troupe de choix s’il en fut, composée de Louis XIV, de Molière, des plus grands seigneurs de France et des plus jolies actrices de Paris, broda sur les imaginations de l’Arioste, en présence de deux reines et d’une Cour immense, qui semblait, dit quelque part la Gazette[3], avoir « épuisé les Indes » pour se couvrir de pierres précieuses. Des salles de verdure, des astragales de fleurs et la voûte du ciel furent le cadre où se déployèrent les cortèges mythologiques, les jeux de chevalerie, les ballets, les festins pour toute la « petite armée » et deux premières représentations de Molière, dont l’une allait être l’un des événemens littéraires du siècle. Le soir, on

  1. V. La Jeunesse de la Grande Mademoiselle.
  2. Du 7 au 11 mai, les deux premiers jours et les deux derniers non comptés.
  3. Numéro du 3 février 1663, à propos d’un bal donné au Louvre par le Roi, le 31 janvier.