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dépenses, » il est retenu par « M. Colbert, qui l’est encore infiniment moins, et particulièrement quand il n’est pas bien persuadé des affaires pour lesquelles il faut dépenser[1]. »

Il est connu que Colbert n’aimait pas le gaspillage ; mais il savait être large, même pour les dépenses de luxe. Personne n’était plus persuadé de l’utilité de la représentation pour un souverain, et il ne ménageait ni sa peine, ni les deniers de l’Etat, pour que les grandes fêtes auxquelles son maître conviait la Cour et la ville fussent sans rivales en Europe. Et elles l’étaient, surtout au début, alors que les goûts étaient jeunes comme le reste, j’oserai dire comme les fautes, et en bénéficiaient comme elles. Ce qui s’appelle entraînement chez le très jeune homme prend le nom de vice chez l’homme mûr, et, il n’y a pas à dire, l’un est beaucoup plus laid que l’autre. Louis XIV n’avait pas vingt-trois ans lorsqu’il s’éprit de La Vallière, et les fêtes qu’il lui offrit s’en ressentirent. Ce furent d’exquises féeries, dans des décors légers de fleurs et de feuillages. La plus fameuse, à cause de la part qu’y prit Molière, est celle qu’on appela Les plaisirs de l’Ile enchantée, et qui fut donnée à Versailles en mai 1664. Elle devait durer trois jours ; on la prolongea six jours de plus, malgré le grand nombre des invitations et les difficultés qui en résultaient. La Cour, dit une Relation[2], arriva « le cinquième de mai, que le Roi traita plus de six cents personnes jusques au quatorzième, outre une infinité de gens nécessaires à la danse et à la comédie, et d’artisans de toutes sortes venus de Paris : si bien que cela paraissait une petite armée. »

Il faut oublier tout ce que nous savons de Versailles pour se le représenter en 1664. Il n’y avait pas alors de ville, ni grande ni petite. Versailles était un petit village, entouré sur trois côtés de champs ou de marécages[3]. Le dernier côté était occupé par un château qui aurait été spacieux pour un particulier, qui ne comptait pas pour une Cour. A peine de dépendances. Un commencement de jardin planté par Le Nôtre. C’était tout.

Colbert trouvait déjà Versailles trop grand depuis que Louis XIV avait décidé d’offrir à ses hôtes autre chose que les

  1. Lettre du 28 décembre 1663, à la reine de Pologne (Archives de Chantilly).
  2. Voyez le Molière des Grands écrivains, t. IV.
  3. Voyez les gravures du temps. On en trouvera des reproductions dans le bel ouvrage de M. de Nolhac ; la Création de Versailles.