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VI

Dans la conversation mémorable où Louis XIV avait avoué à sa mère qu’il n’était plus maître de ses passions, Anne d’Autriche l’avait averti « qu’il était trop enivré de sa propre grandeur[1]. » Elle disait vrai ; l’infatuation avait été rapide. L’excuse du Roi était d’avoir le monde entier pour complice de l’admiration qu’il s’inspirait à lui-même. Il n’entre pas dans notre sujet de raconter le gouvernement intérieur, ou l’action diplomatique, qui rendirent les débuts de Louis XIV si féconds en grands résultats et si glorieux pour lui. Nous nous bornons à constater le fait. La supériorité prise par la France se manifesta au premier contact avec l’Angleterre et l’Espagne, et ne se fit pas moins sentir au-delà du Rhin : « — Louis, dit un historien allemand, possédait dans l’empire germanique une influence qui, au moins dans les cercles occidentaux, était égale, sinon supérieure à l’autorité de l’Empereur[2]. » Les étrangers étaient aussi très frappés de la sollicitude de son gouvernement pour les artisans et les commerçans. Sans doute, les raisons sentimentales n’y étaient pour rien ; quand Colbert interdisait aux collecteurs d’impôts de se saisir des bestiaux du laboureur, il appliquait simplement au nom du Roi ses principes de bon négociant qui ménage le débiteur. Mais le bienfait n’en était pas moins grand. A quelque point de vue que l’on se plaçât, la France donnait aux autres nations l’impression d’un peuple grandissant ; on reconnaissait qu’elle avait pris la tête de l’Europe.

Le pays en avait aussi le sentiment. Il rapportait très justement cet essor aux efforts personnels de son jeune roi, et lui était reconnaissant de son énorme labeur. Louis XIV le savait bien. Il y avait comme un mot d’ordre d’insister à toute occasion sur la peine qu’il se donnait dans son métier de roi et les grandes fatigues qu’il endurait pour le bien public. La Gazette, journal officiel, n’y manquait jamais. Tout lui était prétexte. A propos d’un voyage de huit jours, elle écrivait : « — Ce prince, aussi infatigable qu’un Hercule dans ses travaux[3], » etc. Elle justifiait les ballets royaux, qui coûtaient fort cher, par l’excès du

  1. Motteville.
  2. Histoire de France de Léopold Ranke.
  3. Numéro du 14 septembre 1663.