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raisons, d’avoir une princesse française sur le trône de Portugal. Il lui promit, connaissant son faible, qu’elle serait maîtresse absolue de la « grande et forte armée » que le Roi lui ferait passer sans bruit, par petits paquets. Sans doute, Alphonse VI était paralytique. « Mais, assurait Turenne, cela ne paraît pas quand il est habillé ; il traîne seulement un peu une jambe et s’aide malaisément du bras. » Tant mieux si son intelligence traînait aussi un peu. « On ne sait pas s’il a de l’esprit ou s’il n’en a point ; c’est comme il faut les maris pour être heureuse. »

— « Mais, répliquait Mademoiselle, être la liaison d’une guerre éternelle entre la France et l’Espagne… me paraît très laid. » La situation serait encore pire pour elle si, comme elle en était convaincue, les deux couronnes en arrivaient à se raccommoder. Le bel avenir, « d’avoir un mari sot et paralytique, que les Espagnols chasseraient, et de venir en France demander l’aumône, quand mon bien serait mangé, et faire la reine dans quelque petite ville ! Il fait bon être Mademoiselle en France avec cinq cent mille livres de rente » et rien à demander à la Cour. « Quand on est ainsi, on y demeure. Si l’on s’ennuie à la Cour, l’on ira à la campagne, à ses maisons, où l’on a une cour. On y fait bâtir, l’on s’y divertit. Enfin, quand l’on est maîtresse de ses volontés, l’on est heureuse : car l’on fait ce que l’on veut. »

— « Mais, reprenait Turenne, quand l’on est Mademoiselle, avec tout ce que vous avez dit, on est sujette du Roi. Il veut ce qu’il veut. Quand on ne le veut pas, il gronde ; il donne mille dégoûts à la Cour ; il passe souvent plus loin : il chasse les gens. Quand ils se plaisent à une maison, il les envoie à une autre. Il fait promener d’un bout du royaume à l’autre. Quelquefois il met en prison dans sa propre maison, envoie dans un couvent, et, après tout cela, il faut obéir… Qu’est-ce qu’il y a à répondre à cela ? »

— « Que les gens comme vous ne menacent point ceux comme moi, s’écria Mademoiselle en colère ; que je sais ce que j’ai à faire ; que, si le Roi m’en disait autant, je verrais ce que j’aurais à lui répondre. » Elle lui défendit de lui reparler de cette affaire, et il se retira.

« À cinq ou six jours de là, il m’en parla encore. » Puis ce furent des amis communs. L’inquiétude gagnait Mademoiselle. Dans quelle mesure Turenne était-il le porte-paroles du Roi ?