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Choisy[1], alors tout jeune, et très assidu chez Mademoiselle, où il trouvait nombreuse compagnie de son âge.

Les trois filles de la vieille Madame, Mlles d’Orléans, d’Alençon et de Valois[2], y étaient sans cesse. Elles s’échappaient de leur appartement désert pour accourir vers le bruit et le mouvement ; leur vie était trop triste, avec Madame et ses éternelles vapeurs. Reléguées dans leur chambre, comme à Blois, avec quelques compagnes d’enfance, dont Louise de La Vallière[3] encore inconnue, les petites princesses redoutaient cette mère presque invisible, qui ne leur adressait la parole que pour les gronder. Au moins, chez Mademoiselle, on avait le droit de remuer. La jeunesse y était dans une grande liberté. On organisait de petits jeux. On faisait des parties de cache-cache et de colin-maillard. Le soir, on dansait : « — Comme j’avais des violons, dit Mademoiselle, le bal était bientôt fait dans une chambre éloignée de celle de Madame. » L’abbé de Choisy ajoute un détail gracieux : « — Il y avait des violons, mais ordinairement on les faisait taire pour danser aux chansons. » C’est si joli de danser aux chansons !

Tandis que la jeunesse sautait, les grandes personnes avaient aussi leurs petits jeux. Tout cédait, cependant, au plaisir sans égal de la conversation. Parmi ceux qui lui donnaient son éclat au Luxembourg, on peut citer La Rochefoucauld, Segrais, Mme de Lafayette, Mme de Sévigné, Mademoiselle elle-même, qui menait les idées un peu tambour battant, comme elle menait tout, mais, aussi, avec le même imprévu. La conversation allait être pendant plus d’un siècle, jusqu’à la Révolution, les délices de la France intelligente, et rendre d’incomparables services à la langue, légèrement empêtrée dans les nobles périodes du XVIIe siècle. On s’aperçut tout de suite que le pire défaut, pour un causeur, est de parler comme un livre, et le français dut à cette simple remarque de devenir sans rival dans tout l’univers pour la vivacité et le naturel.

  1. Mémoires. François-Timoléon de Choisy était né en 1644. Il a été question plusieurs fois de sa mère.
  2. Marguerite-Louise d’Orléans, née le 28 juillet 1645 : Elisabeth, dite Mademoiselle d’Alençon, née le 26 décembre 1646 ; Françoise-Madeleine, dite Mademoiselle de Valois, née le 13 octobre 1648.
  3. Née à Tours en 1644. Son père, Laurent de La Baume Le Blanc, seigneur de La Vallière, étant mort en 1654, sa mère se remaria avec Jacques de Courtavel, marquis de Saint-Rémi, maître d’hôtel de Gaston d’Orléans.