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bon, mais elle n’avait été soutenue par personne, car personne ne s’intéressait à elle. On lit dans une gazette à la main du 21 juillet 1660 : « — L’affaire mise en délibération à la Cour, on trouva que Mademoiselle avait droit de… demander (un des appartemens libres) et que Madame ne pouvait pas le lui refuser. On dit même que le Roi lui écrivit pour le lui faire trouver bon. » Il fallut avaler le calice et installer à sa porte cette belle-fille tempétueuse, avec laquelle il n’y avait pas de tranquillité possible, alors que Madame aurait eu besoin d’un grand calme. Madame avait des « vapeurs, » autrement dit une maladie nerveuse. Elle avait peur du bruit, peur de voir remuer ou d’être obligée de parler. Mademoiselle venait lui faire des scènes : « — Je la picotais souvent, disent ses Mémoires, et la méprisais beaucoup (en quoi j’ai eu tort) et… elle me répondait toujours comme une personne qui me craignait, et avec beaucoup de soumission. » Le public se dispensait de plaindre Madame, parce qu’elle ennuyait tout le monde ; c’est le défaut qui se pardonne le moins. Anne d’Autriche elle-même, très bonne femme tant qu’on ne la contrariait pas, ne pouvait souffrir son inoffensive belle-sœur. Elle disait à Mademoiselle, qui n’avait pas besoin de cet encouragement : « — Sa personne, son humeur et ses manières me sont odieuses. » Au fond, le public avait raison dans son antipathie. Madame était de ces gens qui rendent la vertu haïssable, et sont par-là très malfaisans.

Le Luxembourg était commode et gai. Mademoiselle s’y plaisait, et il lui souriait de s’arranger une grande existence de princesse riche et indépendante. On ne pouvait pas faire plus mal sa cour. Dès que Louis XIV eut pris le pouvoir, il laissa voir qu’il ne voulait plus d’autre centre mondain dans son royaume que son propre palais. Sa cousine n’en tint compte. Ce n’était point bravade ; c’était impossibilité de comprendre qu’une « personne de sa qualité » pût être réduite au rôle de satellite. Il est certain que la nature ne l’y avait pas préparée. « Je passerais ma vie dans la solitude, écrivait-elle, plutôt que de contraindre mon humeur fière en rien, y allât-il de ma fortune… Je n’ai nulle complaisance et j’en demande beaucoup[1]. » Elle disait aussi : « Je ne loue pas volontiers les

  1. Portrait de Mademoiselle fait par elle-même (novembre 1657), dans la Galerie des Portraits de Mademoiselle de Montpensier, édité par Edouard de Barthélémy (Paris, 1860).