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cheminemens déjà utilisés. L’arrivée des renforts sur le front ne provoquera pas un mouvement immédiat en avant.

Dans la guerre sud-africaine, les Anglais ont constaté que l’entraînement de la chaîne couchée, par un élément venu de l’arrière, n’a jamais pu se produire. Dans notre armée, en 1870, il en avait été de même.

Une des manœuvres les plus difficiles et qui exige le plus grand déploiement d’énergie est le renforcement d’une ligne de tirailleurs sous un feu meurtrier. Il est facile de s’en rendre compte en pensant que, si cette ligne ne peut plus avancer, c’est précisément parce que la quantité de projectiles qui passent la cloue au sol. Une ligne de combat fléchit quelquefois parce qu’elle n’a pas pu être renforcée, les renforts qu’on lui amenait ayant été eux-mêmes désorganisés avant d’avoir pu l’atteindre.

En réalité, lorsque les renforts parviennent jusqu’à la ligne de combat immobilisée et tapie derrière les moindres abris, les hommes se couchent sur cette ligne sans la dépasser. Comment, dès lors, une ligne de feu arrêtée peut-elle reprendre le mouvement en avant ?

L’arrivée des renforts permet de réparer les pertes et d’augmenter le nombre des fusils et des cartouches. Le feu, qui auparavant était trop faible pour riposter efficacement, et contraindre l’ennemi à se terrer à son tour, reprend une nouvelle intensité. On peut ainsi dominer le feu de l’adversaire et sur certains points l’éteindre, pendant le temps nécessaire pour que quelques essaims de tirailleurs, profitant de l’accalmie, puissent faire un bond et gagner quelques mètres. Ainsi le renforcement du feu permet de gagner du terrain, et non la poussée des renforts. C’est par une suite d’efforts successifs que l’ennemi peut être détruit. L’assaillant se cramponne au terrain conquis, pour en repartir, et enlever la ligne de résistance suivante. Il appartient au commandement de diriger les réserves, pour alimenter les attaques, là où elles peuvent pénétrer. C’est une tâche des plus difficiles, car elle nécessite du discernement, du sang-froid et du jugement. C’est donc sur la ligne de feu seule que l’on peut se rendre compte de la possibilité de gagner du terrain et de pénétrer. Les attaques à fond viennent toujours de l’initiative de ceux qui sont sur la ligne de combat, et non pas d’une poussée de l’arrière, qui ne peut pas se produire. Comme ce fait tient à la nature même de l’âme humaine, les doctrinaires peuvent enseigner, et