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pouvait disposer de l’hôtel de la Préfecture. » Quelques heures après, au cours de sa très matinale visite, il insista si fort que Napoléon se décida à partir en voiture avec lui. Il n’avait plus le souci de son incognito, car, tandis qu’il regardait par la fenêtre en attendant le préfet, le major Voisin, du 2e hussards, qui allait au champ de manœuvres, et d’autres personnes encore, l’avaient reconnu. Bientôt des groupes se formèrent devant la préfecture, aux cris de : Vive l’Empereur ! Napoléon se refusa à se montrer au balcon. Le préfet, Bertrand, Beker descendirent tour à tour sur la place pour engager les manifestans à se retirer. Peine perdue, la foule augmentait et les acclamations ne cessaient point.

Dans l’après-midi, l’Empereur reçut le chef des mouvemens du port de Rochefort ; il apportait une lettre du préfet maritime, le capitaine de vaisseau de Bonnefous, en réponse à la dépêche que Beker avait envoyée de Poitiers. « La rade, écrivait Bonnefous, est étroitement bloquée par une escadre anglaise. Il me paraîtrait extrêmement dangereux pour la sûreté de nos frégates et celle de leur chargement de chercher à forcer le passage. Il faudrait attendre une circonstance favorable, qui ne se présentera pas de longtemps dans cette saison. Les forces qui nous bloquent ne laissent aucun espoir de réussir dans le projet de faire sortir nos bâtimens. »

Bonnefous craignait les responsabilités. La mission dont on l’avait chargé était difficile et particulièrement délicate, car, à l’accomplir selon les ordres du gouvernement du jour, on risquait d’aller contre les vœux du gouvernement du lendemain. Ces pensées troublaient le préfet maritime au point d’obscurcir en lui la vision exacte des choses. Il grossissait les difficultés, les obstacles, les périls. Il était vrai qu’une escadre anglaise, commandée par l’amiral Hotham, croisait sur la côte. Mais ce que Bonnefous savait aussi et ce qu’il perdait de vue, c’est que cette escadre, forte de trois vaisseaux, de deux frégates et d’une dizaine de corvettes, bricks, avisos[1], était échelonnée depuis la

  1. Vaisseaux : le Bellérophon (devant Rochefort), le Superb (devant Quiberon), le Chatham (Iles d’Ouessant). Frégates : le Pactolus et l’Hebrus (à l’embouchure de la Gironde). Corvettes, bricks, avisos : Slaney, Astrea, Telegraph, Falmouth, Erydanus, Céphalus, Cyrus, Opossum, Daphné, Ferret, Endymion, Myrmidon.
    Plusieurs de ces bâtimens légers étaient employés au service des dépêches entre les ports anglais et les bâtimens en croisière devant Quiberon, Rochefort et la Gironde.