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Toutefois, les balles ne frappent pas sur toute la largeur de la bataille. Les lignes de combat ne sont jamais des lignes droites. Elles forment des saillans et des rentrans. Les zones qui sont en face des saillans de la ligne de feu de l’adversaire ne reçoivent presque pas de projectiles, tandis qu’au contraire, dans celles qui correspondent aux rentrans, les projectiles s’accumulent.

Mais, pendant toute la durée de la bataille, les lignes de feu se déplacent et telle partie, qui tout à l’heure formait saillant, devient un rentrant. Ainsi se trouve changée la zone où frappe le tir inconscient.

Pour ce motif, il est indispensable que celles des troupes en réserve qu’il faut tenir près du combat, pour pouvoir les faire intervenir à temps, soient en formations larges et souples, permettant de les déplacer rapidement dès que les balles commencent à frapper.

Cette proportion de 5 hommes de sang-froid sur 100 peut paraître extraordinaire à ceux qui n’ont pas assisté à de grandes batailles, en se tenant sur la ligne de feu. Elle n’est cependant pas exagérée et elle est sensiblement la même dans toutes les armées.

Une étude allemande intitulée Sommernachtstraum[1] » relate ainsi les impressions d’un capitaine à la bataille de Gravelotte (Saint-Privat) :

« Ma pensée se porte sur le gefreite Arnold. Arnold était un des meilleurs soldats de ma compagnie. C’était un modèle pour les autres : un éclaireur bien dressé et un bon chef de patrouille. Il eût été un sous-officier parfait, avec un peu moins de mollesse.

« Nous étions sous un feu violent à cinq cents pas d’une position ennemie. Ma compagnie tout entière était déployée ainsi que l’usage le voulait. Je voyais avec anxiété augmenter le trouble dans le tir de nos hommes sans pouvoir y faire quoi que ce soit. Tous tiraient couchés, et je voyais que des crosses de fusil, aux coups de feu, n’étaient pas soulevées de terre. A un certain point de la ligne, je fus étonné de constater que les coups partaient le canon étant très relevé. A mon approche, je remarquai qu’une petite éminence, à peine perceptible et masquant la vue, se trouvait devant ces tirailleurs.

  1. Sommernachtstraum. Berlin, Mittler, 1888.