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rendre à l’appel de l’Empereur, qui eut avec lui un entretien de dix minutes. On courut d’une traite jusqu’à Poitiers. Afin de laisser passer le plus fort de la chaleur, qui était accablante, on fit halte pendant une couple d’heures à la maison de poste, située hors de la ville. L’Empereur profita de cet arrêt pour faire envoyer, par le général Beker, un courrier au préfet maritime de Rochefort. Il était impatient de savoir si les frégates mises à sa disposition pourraient appareiller dès son arrivée.

A Saint-Maixent, les habitans, dont la curiosité était éveillée par cette calèche à quatre chevaux, s’amassèrent alentour pendant qu’elle relayait. On cherchait à connaître les noms de ces voyageurs de marque. Un officier de garde nationale demanda les passeports. Beker remit le sien ; mais comme cette pièce était rédigée de façon insolite et qu’elle mentionnait seulement le général Beker, un secrétaire et un valet de chambre, l’officier ne voulut point prendre sur lui de laisser partir la voiture. Il porta le passeport à l’hôtel de ville ; le maire refusa de donner un laissez-passer. La foule augmentait. Bertrand, Rovigo, Beker commençaient à être inquiets. Beker se fit reconnaître d’un lieutenant de gendarmerie qui se trouvait parmi les curieux ; il le pria de se rendre sur-le-champ à la municipalité et de lui rapporter son passeport visé, « la mission d’Etat dont il était chargé ne devant souffrir aucun retard. » L’officier obéit, bientôt la voiture put repartir. Au reste, Napoléon eût-il été reconnu qu’il n’en fût rien résulté de fâcheux. Comme partout où l’on avait passé jusque-là, la population était pour l’Empereur ; les questions que l’on posait à ses compagnons de route témoignaient la persistance des sentimens bonapartistes. Le général Beker était fondé à écrire dans son rapport au Gouvernement provisoire : « Napoléon n’a pas été reconnu, mais il a été très sensible aux démonstrations d’intérêt, à la curieuse inquiétude avec laquelle on demandait de ses nouvelles sur son passage. »

On atteignit Niort, le 1er juillet à dix heures du soir. Depuis Rambouillet, on avait roulé presque sans arrêt. L’Empereur était très fatigué par ces trente-huit heures dans une calèche fermée. Il résolut de coucher à l’auberge de la Boule d’Or, située au faubourg Saint-Maixent, et dépêcha Rovigo au préfet pour l’informer de son passage dans la ville et l’inviter à le venir voir le lendemain de bon matin. Le préfet, Busche, témoigna sa surprise que « l’Empereur fût descendu dans une auberge quand il