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peut, avec une égale impartialité, apprécier des génies aussi différens que ceux de Léonard, de Michel-Ange et de Raphaël. De son côté, Thoré, sous le pseudonyme de Bürger, avec sa chaleur communicative, rappelait l’attention sur les œuvres des écoles flamande et hollandaise, ne croyant pas assez les vanter s’il ne dépréciait pas d’autant celles des maîtres italiens, que d’ailleurs il ne connaissait guère et vers lesquels ses instincts ne le portaient pas. En revanche, Rembrandt était pour lui l’objet d’un culte jaloux, un peu farouche, mais qui, en se répandant, allait stimuler non seulement dans la patrie du peintre, mais dans toute l’Europe, des études sur sa vie presque ignorée et sur ses œuvres trop souvent confondues avec celles de ses élèves ou de ses nombreux imitateurs. Chez nous, le nom de Paul Mantz, et, en Allemagne, ceux d’Anton Springer, de Woltmann et de Moritz Thausing, pour ne parler que de ceux qui ne sont plus, méritent aussi d’être cités comme ceux d’écrivains qui, par leur érudition et leur talent, ont le plus contribué à la transformation et aux progrès de la critique moderne.

Plus récemment, — et c’est encore la Revue qui a très largement prêté l’hospitalité à ses études, — Taine, avec son esprit généralisateur, essayait de dégager les grands traits qui peuvent non seulement résumer l’histoire de l’art, mais caractériser l’œuvre d’art elle-même et déterminer les lois de sa production. Servies par la force d’un style abondant et nerveux, plein d’idées et de mouvement, d’images et de couleurs, ses vues parfois systématiques et abstraites, mais auxquelles il a, par son talent, prêté l’illusion de la vie, paraissent, en somme, s’appliquer à l’ensemble des conditions moyennes qui peuvent favoriser l’éclosion et le développement des écoles plutôt qu’elles n’expliquent l’apparition et l’élaboration des grands génies qui les ont illustrées. Ce sont eux cependant qui comptent le plus dans l’art ; mais, plus imprévus dans leur spontanéité, plus libres dans leur formation, ils ne sauraient être prédits, ni expliqués avec une précision rigoureuse, pas plus qu’enfermés dans les limites étroites qu’on prétendrait leur assigner. Bien qu’excessives et trop souvent tranchantes, les doctrines de Taine méritent que désormais on compte avec elles, ne fût-ce que pour en atténuer la rigueur et en corriger l’outrance.

A son tour, Fromentin, avec plus de mesure et une connaissance plus intime des ressources et des difficultés d’un art qu’il