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le fond des choses. Il a toujours été entendu, — le fait a été maintes fois affirmé et n’a jamais été contredit, — que notre traité d’alliance ne s’appliquait qu’aux affaires d’Europe, Ses auteurs n’ont certainement pas obligé la Russie à venir à notre secours au Congo ou à Madagascar, si nous y étions attaqués, de même qu’ils n’ont pas obligé la France à intervenir en Extrême-Orient en faveur de la Russie si elle y était elle-même l’objet d’une agression. En veut-on une preuve plus explicite ? Elle est dans la note du 19 mars 1902 : les deux gouvernemens ne l’auraient pas rédigée et signée s’ils avaient déjà été liés par un texte antérieur. II. est clair également que, si le texte antérieur nous avait imposé des obligations plus grandes, elles n’auraient pas été atténuées, dans la note. La note n’aurait pas été faite pour restreindre et réduire nos engagemens. Il est donc certain qu’il n’y avait rien dans le traité primitif qui pût, en aucun cas, s’appliquer à l’Extrême-Orient. C’est pour cela même que la note a été faite : on a vu à quoi elle nous oblige. Nous pouvons suivre le cours des événemens avec une parfaite liberté d’esprit, car nous sommes restés maîtres de notre politique. Mais pouvons-nous dire dès aujourd’hui ce que nous ferons ? Pouvons-nous le savoir ? Ne serait-il pas imprudent de chercher tout haut à le prévoir ? Nos sympathies ne sont pas douteuses, elles ne peuvent pas l’être : trouverait-on un ministre des Affaires étrangères pour déclarer que, dans tous les cas qui peuvent se présenter, elles resteront platoniques et inertes ? Et en trouverait-on un autre qui consentirait à déterminer dès aujourd’hui les circonstances et les conditions où elles deviendraient effectives ? La première affirmation ressemblerait fort à une faiblesse que rien n’excuserait, puisque personne ne nous demande rien, et la seconde, à une provocation en expectative. Mieux vaut se taire que de parler sans dignité ou sans prudence. Après un peu d’hésitation, tout le monde l’a compris au Palais-Bourbon. Les questions ou les interpellations y attendront un meilleur moment de se produire. Témoins attristés d’un duel qu’il a été impossible d’empêcher, il y aurait aussi peu de convenance que d’à-propos à troubler les deux adversaires par des discussions sur le passé dont nous avons dit tout ce qu’on peut en dire, ou sur l’avenir, qui échappe à toutes les prévisions.

Il serait à souhaiter que les pièces du procès, c’est-à-dire les dépêches diplomatiques qui ont été échangées entre les divers gouvernemens, fussent publiées ; mais il n’y a guère lieu d’espérer qu’elles le soient, au moins d’une manière complète. Si elles l’étaient, il deviendrait plus facile de déterminer toutes les responsabilités. Nous ne