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des traités passés par la Chine en Mandchourie, traités qu’elle est résolue à respecter, auraient dû rassurer les nations inquiètes pour la liberté de leur commerce dans cette province ; mais il faut bien constater que ces assurances, quoique formellement données, n’ont pas produit tout l’effet qu’on en pouvait attendre. Le Japon a été habile en ayant l’air de prendre en main la défense de la liberté commerciale en Mandchourie. La Russie a eu beau faire, une certaine défiance a persisté contre elle, et c’est en partie pour cela qu’on a vu l’Angleterre et les États-Unis pencher sensiblement du côté du Japon, tandis que la France penchait du côté de la Russie. Mais cela ne veut pas dire, — en dépit d’une démarche un peu équivoque dans la forme du cabinet de Washington, — qu’aucune de ces Puissances ait la moindre velléité de rendre ses sympathies plus actives, en sortant de la neutralité qui est conforme à l’intérêt de toutes. Elle est même de l’intérêt des belligérans, car une intervention, si elle se produisait, pourrait en provoquer une autre en sens contraire, et nul ne sait où s’arrêterait ce mouvement. La localisation de la guerre doit être l’objet commun de tous les efforts.

Le succès de ces efforts ne sera pas, au moins pour le moment, très difficile. De toutes les Puissances européennes, l’Angleterre seule a un traité formel qui l’oblige à prendre parti pour le Japon dans le cas où, une autre Puissance prenant parti pour la Russie, le Japon aurait à combattre deux adversaires à la fois. Ce serait là le casus fœderis : il n’y a pas d’apparence qu’il vienne à se poser. Nous ne voyons aucun inconvénient à parler ici avec une franchise absolue, et à revenir sur des considérations que nous avons d’ailleurs déjà exposées. Une seule nation serait à même d’intervenir en faveur de la Russie, c’est la France. Bien qu’elle n’y soit pas tenue par ses arrangemens antérieurs, elle pourrait être amenée à le faire spontanément, si ses intérêts se trouvaient en cela d’accord avec ses sympathies. Mais, aussi longtemps que l’Angleterre elle-même s’abstiendra, l’abstention de la France est d’amant plus certaine que, si elle en sortait, l’Angleterre serait forcée de sortir aussitôt de la sienne, et on ne voit pas bien ce que, soit l’un, soit l’autre des belligérans, y gagnerait. Au surplus, le concours que l’Angleterre apporterait au Japon serait purement maritime, et dès lors, il serait sans doute inutile, si le Japon garde sur mer la liberté de ses mouvemens, c’est-à-dire s’il réussit à faire passer son armée en Corée et à maintenir ses communications avec la mère patrie. On ne voit plus, dès maintenant, ce qui pourrait l’en empêcher : une intervention anglaise n’est donc pas probable. Admettons toutefois qu’elle se produise,