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a-t-il dit, parlons de la Mandchourie. C’est à quoi la Russie s’est refusée dans ses notes antérieures, et il est probable qu’elle s’y refusait également dans celle d’hier, celle qui n’a pas pu être remise au gouvernement japonais. Dès lors, la rupture aurait eu lieu le lendemain de cette remise comme elle a eu lieu le veille. Il est clair, en effet, que la Russie ne pouvait pas reconnaître au Japon, en ce qui touche la Chine et la Mandchourie, une situation privilégiée. Elle voulait bien le traiter sur le même pied que les autres Puissances, lui faire les mêmes déclarations, lui donner les mêmes garanties, mais non pas dépasser pour lui seul cette commune mesure. Or, le Japon voulait davantage ; il voulait un traité qui, en obligeant la Russie a reconnaître vis-à-vis de lui la souveraineté de la Chine en Mandchourie, l’en constituerait en quelque sorte le garant. La Russie a dit non, et on ne saurait lui donner tort. Le meilleur moyen pour elle de reconnaître la souveraineté de la Chine sur la Mandchourie était de ne parler de la Mandchourie qu’à la Chine, et de repousser toute conversation avec tout autre que la Chine sur une province chinoise. L’accord était donc impossible. Le Japon le savait et se préparait en conséquence. Le moment venu, il a tiré l’épée et s’est précipité sur l’ennemi, sentant bien que, si c’est quelquefois, aux yeux de l’opinion, un avantage d’être défendeur quand on négocie, c’en est presque toujours un d’être l’agresseur quand on se bat. La guerre défensive est généralement une duperie : les professionnels de la paix perpétuelle doivent en prendre leur parti.

Le canon a retenti. Après une surprise nocturne, dans laquelle ils ont endommagé deux cuirassés et un croiseur russes, les Japonais ont immédiatement ouvert le feu sur Port-Arthur. Le résultat de leur tir paraît avoir été nul sur la place, mais non pas sur l’escadre. Dès le premier jour, sept navires russes ont été atteints, et, le lendemain, deux autres ont été coulés ou capturés à Chemulpo. Avant l’ouverture des hostilités, les forces navales en présence étaient sensiblement égales, avec cette circonstance à l’avantage des Japonais que leurs navires sont tout neufs et ont profité naturellement des derniers progrès apportés à l’art de les construire. Le choc initial a tourné contre les Russes. On a beau dire qu’il est le fait d’une surprise, le résultat n’en est pas moins acquis, et il est très regrettable. La flotte russe se trouve aujourd’hui dans un état d’infériorité, dont les Japonais, avec l’activité qui les caractérise, ne manqueront pas de profiter. La première question qui se posait était de savoir s’ils resteraient les maîtres de la mer, et s’ils pourraient par conséquent transporter avec sécurité