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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 février.


Les rêves de paix perpétuelle et universelle dans lesquels se complaisaient, depuis quelque temps surtout, un si grand nombre d’esprits généreux, mais chimériques, viennent d’être dissipés par un réveil en sursaut. Brusquement, violemment, brutalement, la guerre a éclaté en Extrême-Orient, et les mers qui baignent le continent jaune ont déjà du sang mêlé à leurs flots. Les Japonais, ayant résolu de faire la guerre, l’ont commencée sans perdre une minute et par les actes les plus significatifs. Ceux qui, après la rupture des négociations, conservaient encore quelque espérance pacifique n’ont pas tardé à reconnaître qu’ils se trompaient. La guerre, on peut le dire maintenant, était dans la fatalité de la situation respective du Japon et de la Russie ; elle devait éclater, un jour ou l’autre, et c’est tout au plus si on pouvait croire que les efforts de la diplomatie réussiraient à en proroger la redoutable échéance. Tout d’un coup, les Japonais se sont aperçus que le temps travaillait contre eux. Ils avaient toutes leurs forces militaires réunies, et leur entretien sur le pied de guerre leur coûtait fort cher, sans qu’ils eussent d’ailleurs le moyen d’en augmenter la qualité ou la quantité. Il n’en était pas de même des Russes, qui pouvaient envoyer sans cesse des troupes nouvelles en Mandchourie, et qui le faisaient effectivement. Les forces des deux adversaires étaient à peu près les mêmes au moment où les hostilités ont pris naissance : il n’en aurait plus été ainsi, au moins sur terre, dans quelques semaines ou dans quelques mois. Voilà pourquoi les Japonais ont brusqué l’événement : ce n’est pas l’excuse, mais c’est l’explication de leur conduite.