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à demi morte, elle resta soumise au régime des voleurs et des assassins.


Désormais, le drame n’allait plus comporter d’épisodes comiques, à moins que quelqu’un ne trouve la force de sourire de l’écœurante bassesse des aveux, ou plutôt des dénonciations de Struensée. Celui-ci, d’abord, avait tout nié, comptant toujours sur la faveur de la reine, dont il ignorait le sort. Un matin, ses juges, par manière d’épreuve, lui révèlent que Mathilde est emprisonnée ; qu’elle ne peut plus rien pour lui, et que même, il a chance de s’innocenter en disant tout ce qu’il sait contre elle ; et, aussitôt, le drôle non seulement reconnaît qu’elle a été sa maîtresse, mais, obstinément, une semaine de suite, il se met à la charger des accusations les plus effroyables, affirmant que c’est elle qui l’a « tenté, « séduit, obligé de force à devenir son amant. On lui fait signer ses déclarations, on les emporte à la prison, où Mathilde, indifférente à sa propre destinée, ne cesse point de trembler et de prier pour son bien-aimé. Et alors s’ouvre une scène si tragique, d’une horreur si poignante à la fois et si simple, que peut-être aurait-on de la peine à en rencontrer l’équivalent dans aucun autre drame, inventé ou réel. Les juges montrent à Mathilde les aveux de Struensée. « Si cette confession n’est pas vraie, madame, il n’y a point de mort assez cruelle pour ce monstre, qui a osé vous compromettre d’une telle façon ! » La reine frémit, pâlit, lève sur les juges « un regard affolé. » Elle se rend compte de la gravité suprême de la réponse qu’elle va faire : son rang, son honneur, sa vie même sont en jeu. Mais son amour finit par l’emporter sur tout cela. « Si je confirmais que ces paroles de Struensée sont vraies, dit-elle, pourrais-je sauver sa vie par ce moyen ? — En tout cas, madame, répond le président de la commission, votre aveu serait compté en sa faveur, et modifierait sa situation. Vous n’avez qu’à signer le papier que voici ! » La reine jeta les yeux sur ce papier où, d’avance, on avait écrit l’aveu de son adultère. « Eh bien ! soit, s’écria-t-elle, je signerai ! » Elle prit la plume que lui tendait le juge, signa sa condamnation, et elle tomba de tout son long, évanouie, sur les dalles.

Elle ne fut point mise à mort, cependant ; et Struensée le fut, malgré l’infamie de ses dénonciations. Voyant que ce système de défense ne suffisait pas à lui sauver la vie, le « philosophe » avait ensuite imaginé de se convertir. Longtemps il édifia par sa piété le digne pasteur préposé au soin de son âme. Mais ce système-là, non plus, ne lui réussit pas : il fut publiquement dégradé et exécuté, le 28 avril 1772,