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revendant le lendemain leur coupon au cours de la Bourse, cela leur fera un bénéfice de 4 francs au, maximum. Passer une nuit et un demi-jour, faire cent courses et le métier d’agent de change, courir la chance d’être éliminé s’il y a trop de souscriptions, est-ce assez, pour expliquer cela, d’un espoir de 4 francs ? — Je suppose maintenant qu’ils venaient pour d’autres. Confierait-on à ces pauvres diables le premier dixième du capital qu’on doit verser aux bureaux pour recevoir son coupon ? Je livre ce dilemme à votre sagacité. Y a-t-il là-dessous quelque imitation en grand des procédés Barnum ? Dans l’Exposition de l’Industrie, celle-là manquait. A-t-on voulu ajouter une machine à tant de machines ? Si cela est, la plante américaine aura richement fleuri et fructifié en touchant le sol français.

Un peu de peinture, s’il vous plaît. Un peintre de mes amis, revenant de sa première visite aux Beaux-Arts, me dit que le Salon n’était qu’un long cri d’impuissance et de douleur. Selon lui, le genre d’imagination propre à la peinture a péri. Il y a des gens qui essayent de le retrouver en copiant, par exemple M. Ingres ; — d’autres, comme Delacroix, qui essayent de le remplacer par l’imagination poétique, etc. Il voit des musiciens, des hommes d’esprit, des historiens, des élégiaques, des raisonneurs, des systématiques, mais plus de peintres. Je m’explique son idée de la façon que voici : depuis deux cents ans, une quantité effrayante d’idées abstraites, de formules générales, d’analyses psychologiques, s’est accumulée dans la tête des hommes. Lisez par exemple la vie de Benvenuto Cellini, celle de Michel-Ange ou des peintres flamands. Vous verrez le contraste de ces cervelles et des nôtres. Or l’imagination du peintre consiste à posséder intérieurement une sorte de toile où, à chaque instant, se dessinent avec tous leurs détails des paysages, des hommes, des corps, des formes et des couleurs. Par exemple, vous lui dites le mot « grande maison. » Immédiatement il a la vision de l’édifice, avec ses colonnes, ses portes, les ornemens des fenêtres, les découpures d’ombres et de lumières, etc. De cette vision il passe involontairement à une autre et ainsi de suite. Mettez un cerveau ainsi organisé sous la discipline de notre éducation. Nous lui apprendrons à analyser ses impressions, à découper parcelle par parcelle les tableaux qui naissaient dans son esprit, à noter par des mots exacts les différentes émotions que chacune d’elles lui faisait éprouver tour à tour, à remonter à