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de Galles, ayant fait mine de lui reprocher sa froideur pour sa femme, il lui répondait en lui demandant des nouvelles de lord Bute, que l’on avait autrefois accusé d’être son amant. Au théâtre, il applaudissait avec affectation toutes les allusions contre le mariage. Et, lorsque la princesse Amélie, la vieille tante de Mathilde, qui elle-même raffolait de lui, s’enhardit à lui demander pourquoi il ne s’entendait pas mieux avec sa gentille femme : « Pourquoi ? répondit en français cet extraordinaire mari, pourquoi ? Elle est si blonde ! »

Contraint à partir de Londres, d’où Georges III l’avait presque chassé, il se transporta à Paris, et y poursuivit la même existence. Mais, quand il revint à Copenhague, le 14 janvier 1769, Mathilde, toujours aussi désireuse de lui plaire, lui prodigua les témoignages de son indulgente affection ; et lui, le malheureux, dès qu’il la revit ce jour-là, il s’éprit d’elle, en devint passionnément amoureux pour le reste de sa vie. Avait-elle changé, mûri pendant son absence ? Le repos et le séjour au grand air l’avaient-ils encore rendue plus jolie ? — comme nous le ferait croire un portrait, pitoyable et charmant, que l’on peignit d’elle à peu près vers ce temps ? Ou bien le revirement n’était-il que l’effet d’une nouvelle crise dans l’âme de plus en plus chancelante et déséquilibrée de Christian ? Celui-ci, en tout cas, se trouva conquis au premier regard ; et l’on peut dire que, désormais, il n’eut plus d’autre rêve que d’obéir à l’exquise jeune femme naguère dédaignée. Hélas ! il rapportait avec lui, de Paris ou de Londres, un mal fâcheux qu’il communiqua bientôt à sa chère Mathilde ; et elle en fut à la fois si effrayée et si dégoûtée que, pendant que son mari s’exaltait dans son amour pour elle, jamais plus elle ne put s’empêcher de ressentir pour lui un mélange profond de mépris et de répulsion. Tout ce qui venait de lui, tout ce qui l’avait approché lui faisait horreur. Longtemps, elle refusa de se soigner, un peu par désespoir de vivre, mais surtout pour n’avoir pas à recevoir auprès d’elle le nouveau médecin de la Cour, un Allemand, que le roi avait ramené de son voyage, et qu’elle savait être son confident préféré. Ce n’est que sur un ordre formel, après des semaines de résistance, qu’elle se résigna à le recevoir. C’était, ce médecin, un grand et gros homme de trente-deux ans, d’apparence commune et même assez laid, avec un énorme nez busqué sous un front fuyant : mais beau parleur, mielleux, insinuant et, du moins à l’entendre, le plus savant du monde. Il s’appelait Jean-Frédéric Struensée.

On risquerait, je crois, de se méprendre tout à fait sur le rôle joué par Struensée, tant dans la vie de la reine Mathilde que dans l’histoire politique du Danemark, si l’on ne commençait point par se rendre