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bonne parole pour l’en remercier. En vain, maintenant, elle s’humiliait, domptait toutes ses répugnances, s’offrait à partager les ignobles plaisirs de Christian : celui-ci l’insultait à découvert, la raillant de sa grossesse, ou même excitant ses compagnons à lui faire la cour. Il s’était choisi une maîtresse attitrée, une grosse fille qu’on appelait « Catherine aux culottes, » parce que, dans son enfance, elle avait servi chez un petit tailleur ; il dansait avec elle aux bals du palais ; après quoi il allait par les rues, avec une liste des bourgeoises de la ville dont elle avait eu à se plaindre, pénétrait dans les maisons de ces femmes, y brisait les meubles et les jetait sur la chaussée. Ayant su que la reine, dans son abandon, s’était liée d’amitié avec sa première dame d’honneur, Mme de Plessen, une excellente vieille femme dont le cœur s’était ému au spectacle de tant de gentillesse et de tant de souffrance, Christian n’eut pas de repos qu’il ne l’eût congédiée. Il finit par la chasser, sans l’ombre d’un motif, et mit à sa place la propre sœur de son favori Holck, qui ne se cachait pas de sa haine pour elle. Enfin, au mois de mai 1768, il annonça son intention de quitter le Danemark, pour aller se divertir en Angleterre et en France : Mathilde le supplia, à genoux, de la prendre avec lui dans ce voyage : et cela encore lui fut refusé. Christian l’autorisa simplement à faire revenir Mme de Plessen durant son absence ; puis, au premier relais, il lui écrivit qu’il révoquait son autorisation.

Le seule excuse de ce misérable est que, sans doute, dès ce moment, son épilepsie native et toute espèce d’excès l’avaient rendu fou : à moins encore d’admettre qu’il ait été fou de naissance, ce qui expliquerait l’étrange et inquiétant sourire qu’on voit déjà dans un portrait officiel peint, en 1766, par Wichman, pour être offert en hommage à la Cour de Londres. Mais, comme je l’ai dit, la folie s’est toujours accompagnée chez lui d’une verve amère et sarcastique qui, maintes fois, lui a valu d’être pris pour un profond observateur se plaisant à cacher son jeu. Et jamais cette verve ne paraît s’être aussi abondamment déployée que pendant le fantastique séjour de deux mois qu’il fit à Londres, fort mal accueilli de la Cour, mais fêté avec enthousiasme par la ville entière, qui l’avait surnommé « le Viveur du Nord, » et ne se lassait pas d’admirer ses excentricités. Ennuyé d’avoir à subir des réceptions solennelles, — car il n’était venu expressément que pour « s’amuser, » — il disait à son ministre Bernstorff, en arrivant à Cantorbery : « Le dernier roi de Danemark qui est entré à Cantorbery a réduit la -ville en cendres. Si on rappelait cela aux habitans, peut-être se décideraient-ils à me laisser passer sans cérémonie ? » Sa belle-mère, la Princesse-Douairière