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la gracieuse et touchante beauté qui bientôt, à Copenhague et dans tout le Danemark, allait lui valoir le surnom de « la Rose Anglaise. » Sous de magnifiques cheveux blonds, d’un blond doré avec des reflets d’argent, elle avait des yeux bleus d’une tendresse exquise, un nez finement, arqué, et le teint de blonde le plus délicieux que l’on pût rêver. Seule, sa lèvre inférieure, déjà un peu forte, rattachait sa figure au type « bovin » très particulier que nous font voir tous les portraits de ses frères, comme aussi de sa sœur aînée Augusta de Brunswick ; et encore ce défaut, assez sensible sous l’expression mélancolique du portrait de Reynolds, avait-il vite fait de s’effacer dès que sa petite bouche s’illuminait d’un sourire.

Après une longue et pénible traversée, suivie d’un voyage lugubre sous des rafales de neige, la reine Mathilde arriva, le 25 octobre, dans la ville danoise d’Altona, où, parmi de nouvelles larmes, elle dut se séparer des dames et servantes anglaises qui l’avaient escortée. Mais ses larmes séchèrent, l’espoir et la confiance lui revinrent au cœur, lorsque, le matin du 2 novembre, à Rœskilde, — le Saint-Denis du Danemark, — elle vit pour la première fois son royal époux. Car non seulement celui-ci, élégamment vêtu à la dernière mode de Versailles, s’était ingénié pour la circonstance à prendre le port et les façons les plus raffinés : à peine eut-il aperçu la jeune reine que, ravi sans doute de se trouver en possession d’une femme aussi belle, il s’élança vers elle, la saisit dans ses bras, et la couvrit de baisers.

C’était un jeune garçon de dix-sept ans, court de taille, mais solidement bâti ; très blond, lui aussi, et avec un petit visage pointu qui n’était pas déplaisant. Il ne manquait pas non plus de bonté, au fond de son cœur, ni même d’un certain esprit, imprévu et volontiers cynique, rappelant un peu celui du roi Louis XV, avec qui d’ailleurs Christian VII avait encore d’autres traits communs. Malheureusement, sous ses apparences de vigueur, il était sujet à des crises d’épilepsie qui n’allaient point tarder à lui troubler la raison : sans compter que, élevé au hasard, — sa mère était morte quand il avait deux ans, et son père s’était empressé de se remarier, — la détestable influence de ses compagnons de jeux avait fait de lui une véritable brute. Il se divertissait à lancer du thé bouillant au visage des dames d’honneur de sa Cour, à se cacher sous les tables pour leur pincer les jambes, mais plus particulièrement encore à errer, la nuit, dans les rues de Copenhague, où il cassait les vitres, attaquait les passans, et se colletait avec la police.

De telle sorte qu’il ne fallut pas beaucoup de temps à la pauvre