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Guillaume m’a fait espérer. Je vais rhabiller mon pauvre enfant tombé et le redresser tant bien que mal. Souhaite au fils un destin plus heureux et conserve au père ta vieille amitié de collège. C’est ce que je puis demander de mieux pour lui.


A Monsieur Cornélis de Witt.


Paris, 1er novembre 1854.

Mon cher de Witt, nous voilà donc tous enfoncés dans le métier littéraire ! Mais tes œuvres, cher ami, sont des actions et de la politique. Je te félicite bien de ce beau sujet. Mais pourquoi veux-tu commencer si tard ? Il n’y a rien d’admirable comme le commencement de la Réforme en France ; Jeanne d’Albret, Coligny, d’Aubigné, La Noue, la fière noblesse calviniste. C’est l’époque des martyrs, des héros et des bandits, ajoute que c’est au XVIe siècle, le plus original, le plus énergique et le plus vivant de tous. J’ai lu l’an dernier toutes sortes d’histoires et de mémoires de ce temps-là, je t’assure qu’il n’y a rien de plus dramatique, ce sont les plus belles mœurs que puisse trouver un historien. Ils jouaient une grande partie, il s’agissait de gagner la France ; après l’Edit de Nantes, ils ne peuvent plus songer qu’à vivre. Tu couperas la plus belle page de ton livre, si tu mets celle-là en introduction. Note bien que ces mœurs-là ne sont pas connues, que les maudits romans de M. Dumas les ont défigurées dans l’esprit du public, que si on sait les faits, on ignore les âmes, que les sentimens qu’il faudrait interpréter sont les plus grands et les plus éloignés de nous. Je t’en prie, au nom de ton plaisir, de ton succès et de l’histoire, lis les actions de ces gens-là, et tu voudras les mettre dans ton récit.

J’imagine que tu as des documens curieux sur la révocation de l’Édit de Nantes. M. Depping vient de publier un volume qui en contient beaucoup, et de si forts, dit-on, que le Gouvernement interdirait la publication s’il les voyait.

Pour ce qui est du dogme, il me semble qu’il fait partie des mœurs ; la terrible théologie de Calvin a trempé des âmes comme celle de Jeanne d’Albret, et les théories sur la grâce sont très intéressantes ; peu de livres m’ont fait plus de plaisir que la Prédestination de saint Augustin. Les idées font les passions, et par conséquent les actions. Est-ce qu’il ne faut pas aussi que tu apprennes, aux Français catholiques, que Jarrige répondait fort