Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soixante à quatre-vingts fois chacun et je les relis. Prenons un arbitre. Cet arbitre sera vous-même, mais quand vous aurez lu le livre trois fois.

Je serre la main à notre ami le maçon[1]. Ne lui dites pas que je suis si fort épris de Beyle. Il dirait que j’ai sucé le venin du XIXe siècle ; c’est son mot sur moi ; dites-lui, pour m’excuser, que je lis en ce moment sainte Thérèse, pour prendre le goût des quatre espèces d’oraison et des calembours.


A Monsieur Cornélis de Witt.


9 octobre 1854.


Rose, l’intention de la présente
Est pour s’informer d’ ta santé.

La jolie chose que la poésie, qui me permet de te faire des complimens, et de t’appeler Rose ! Pour ma question, cher ami, elle est très sincère ; depuis que je suis malade, j’imagine que tout le monde l’est ou doit l’être, et quand quelqu’un parle haut, j’ai toujours envie de lui demander grâce pour son gosier. Le mien va mieux, et si j’en crois les médecins, race peu croyable, il ira mieux encore dans un mois, les eaux n’agissant qu’à distance. Pendant que tu pâturais en plein bonheur de Normandie, j’ai mené la vie d’une chèvre pythagoricienne. Je suis devenu l’animal le plus muet et le plus grimpant des Pyrénées. J’ai vu des rocs rouges, gris, noirs, jaunes, en profusion; : je me suis trouvé l’ami des lézards et des chèvres ; j’ai fait des études sur les cochons roses et noirs. O heureuses bêtes. Epicuriens à quatre pattes, que votre béatitude insouciante fait honte à l’homme, et que je suis de l’avis de l’oie de Montaigne, lorsqu’elle prétend être le but de la création ! De toutes ces liaisons et pérégrinations va naître un petit livre qu’Hachette me demande sur les Pyrénées. Je referai le voyage de souvenir, et j’aurai encore plus de plaisir à celui-ci qu’à l’autre.

Quand reviens-tu ? Il me semble avoir écrit en août une petite lettre à Guillaume, mais il voyageait sans doute en Bretagne, et ne m’a pas répondu, de sorte que, depuis trois mois, je suis sans nouvelles de toi. A ton retour, j’irai te serrer la main, et demander à M. Guizot les conseils et les corrections que

  1. M. de Witt.