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bat son plein, là où sont les livres, les instrumens, les informations, les matériaux de toute sorte que la science emploie. Le voisinage même de la foule est nécessaire, car c’est sur elle et pour elle qu’on travaille. Elle est un sujet d’étude pour l’Université nouvelle, s’il est vrai que sa mission est de donner à ce vivant chaos une forme, des organes, un cerveau pensant.

À ces idées, encore confuses et traitées de paradoxes en 1880, se joignaient d’autres considérations qui frappaient les esprits, pratiques. Il en coûte, au bas mot, quatre ou cinq mille francs pour subvenir aux frais des six mois de résidence annuelle qu’exige, pendant trois ans, l’éducation d’Oxford et de Cambridge. Ce chiffre en dit beaucoup : il exclut de la vie universitaire 95 pour 100 de la nation. Ouvrir une Université enseignante à Londres, c’était appeler à la culture supérieure une nouvelle couche de la Middle Class, qui en était privée et qui en est digne, peut-être même une élite ouvrière. Non seulement la vie et les rétributions scolaires sont moins chères à Londres, mais nombre d’étudians peuvent continuer à suivre les cours en résidant dans leur famille et d’autres peuvent faire coïncider, jusqu’à un certain point, leurs travaux universitaires avec les obligations d’une profession quelconque. À ce point de vue, la création de l’Université de Londres s’imposait comme un corollaire de l’œuvre de la démocratisation politique de l’Angleterre, commencée depuis un demi-siècle, poursuivie sans relâche par le parti libéral, et à laquelle le parti conservateur, soit dit, en passant, à sa louange, s’est loyalement associé. J’ai raconté, dans cette Revue, certains épisodes de ce mouvement, et quelques-uns de mes lecteurs se souviendront peut-être d’une remarque qui est revenue plusieurs fois au cours de ces études. C’est que la transformation politique devait être accompagnée d’une transformation dans les mœurs et, notamment, dans l’éducation. La démocratie ne peut rester ignorante alors qu’elle devient toute-puissante. On comprend maintenant comment l’Université de Londres, jugée d’abord à peine possible et d’utilité incertaine, était devenue nécessaire dès 1880.


II

C’est alors que commence la période d’incubation. En 1881, se formait une association pour l’établissement d’une Université