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Sur nos illusions tombées ;
Sur nos morts fauchés dans leur fleur,
Pareils à l’herbe qu’un faneur
Aligne en épaisses gerbées.

Mais vous, nul ne vous voit souffrir ;
Sachant vous cacher pour mourir,
Nul n’assiste à votre agonie,
Et, comme vos légers concerts
Forment sans cesse dans les airs
Une invariable harmonie,

Vous paraissez toujours durer,
Et nous pouvons nous figurer,
Trompés par sa voix charmeresse,
Que nous avons devant les yeux
Le même oiseau mélodieux
Qui chantait dans notre jeunesse.

C’est pourquoi j’ai cru, ce matin,
Ainsi qu’un vieil ami lointain,
Rouge-gorge, te reconnaître,
Tes doux tirelis cadencés
Me rappelaient les jours passés
Dans nos bois, à l’ombre d’un hêtre...

Tandis qu’au blanc soleil d’hiver
Les diamans du givre clair
Se dissolvaient en larmes brèves,
Je t’écoutais avec émoi
Et ta musique ouvrait pour moi
La porte d’ivoire des rêves :

Bercés sur un lac aux flots bleus.
Chargés de couples amoureux,
Des bateaux s’éloignaient de terre ;
J’entendais les chants des rameurs.
Mêlés aux galantes rumeurs
D’un embarquement pour Cythère,

Peu à peu, les chœurs se taisaient,
Les barques s’évanouissaient