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Des halliers lointains les hautes verdures
Bornaient les pâtures
Où les grands bœufs roux, au tomber du jour,
Sommeillaient d’un air de béatitude ;
Une adorable solitude
Etendait sa paix profonde à l’entour.

Dans la bigarrure et les broderies
Des berges fleuries,
Les reines-des-prés, — vous en souvient-il ? —
Penchant sous l’abri mobile des branches
Leurs panicules de fleurs blanches,
Répandaient à l’ombre un parfum subtil.

Leur arôme épars embaumait la plaine ;
On eût dit l’haleine
De la fenaison, quand, le soir venu,
Le bruit sourd des faux peu à peu s’apaise ;
Il avait la saveur de fraise
D’un baiser très tendre et très ingénu.

Les reines-des-prés aux fines aigrettes.
Le chant des rainettes
Et de l’eau, formant un limpide accord ;
Les battoirs au loin sonnant en cadence,
Même les momens de silence,
A l’heure ajoutaient plus de charme encor.

Ce n’était partout que molle harmonie,
Douceur infinie ;
Tout sentait l’Amour, maître impérieux,
L’Enchanteur amour qui tient en servage
L’homme fou comme l’homme sage,
Et lui poind le cœur, qu’il soit jeune ou vieux.

Nos mains se touchaient en cueillant la plante
A l’odeur troublante ;
Par le vif attrait de vos beaux yeux francs,
Par votre gaieté qui pétille et grise,
J’avais la tête déjà prise
Et ne songeais plus à mes cheveux blancs...