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LETTRES DE H. TAINE
À F. GUIZOT ET À SA FAMILLE

DEUXIÈME PARTIE[1]

À Guillaume Guizot.


Paris, mardi 18, 19 ou 20 juin 1834.

Je commence par votre fin, mon cher Guillaume : Rouge et Noir s’appelle ainsi parce qu’il devrait s’appeler autrement.

Pour l’autre question : « Referai-je mon mémoire ? » vous êtes si aimable que j’en passerai par où il vous plaira. M. Guizot, dites-vous, me marquerait mes fautes ? Ce serait double profit, et je ferais le travail pour obtenir les corrections. Ne croyez point que j’aie hésité par tendresse paternelle. Je sais trop que mon pauvre enfant est boiteux ; mais, si j’ai bien compris les objections, il faudrait lui casser l’autre jambe. Je vous fais, je vous jure, ma confession en toute bonne foi. Je l’ai relu et trouvé ennuyeux ; je tournais les pages par volonté, non par attrait. Le plan seul est bon, le reste est de cette médiocrité honnête qui me déplaît dans les autres et que je déteste en moi. Sauf quelques phrases et une ou deux pages entières où le diable m’a poussé, la verve manque ; il n’y a pas d’entrain, l’œuvre n’est pas vivante ; les idées n’intéressent point, l’expression n’est pas frappante. On dit : « Bien, régulier, convenable, bon devoir, passons à un autre. »

  1. Voyez la Revue du 15 décembre 1903.