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qu'il doit prendre sans cesse les résolutions qui parent aux éventualités renaissantes ; la bataille, où l'enthousiasme et la terreur se disputent les combattans et font tour à tour trébucher la victoire, la voici partagée en tranches et mise en formules. Son développement schématique sur le tableau noir établit l’équation de la victoire. Maintenant, tout bon élève peut se croire en état de commander des armées. S’il se conforme à quelques principes faciles à expliquer, le succès ne peut lui échapper.

Pour donner plus de poids à ces principes, les professeurs vont les attribuer à Napoléon.

Ce sont, dans l’ordre stratégique : le groupement des forces en une masse placée de manière à menacer les communications de l’adversaire ; dans l’ordre tactique : le déploiement sur des fronts étroits permettant une grande densité des combattans dans la zone attaquée ; enfin, la disposition des troupes en profondeur, pour pouvoir exécuter les attaques dites décisives.

Ces conceptions furent réalisées dans la plupart des grandes manœuvres d’automne ; les chefs qui s’en écartaient étaient considérés comme hérétiques.

Dans des manœuvres de quatre corps d’armée contre un ennemi figuré, on vit ces corps marcher étroitement liés et placés, les uns par rapport aux autres, dans des positions géométriques permettant de faire face à volonté dans trois directions.

Cela supposait, il est vrai, que la manœuvre à exécuter dépendait de celle de l’ennemi, en sorte que le commandement consentait à subordonner sa volonté à celle de l’adversaire. Mais peu importait ! Les principes de la doctrine étaient appliqués. Faire face à l’ennemi, foncer sur lui en masse et le disperser par la bataille de rupture, c’était l’application correcte des principes enseignés.

La doctrine des fronts étroits et de la grande densité de l’ordre de bataille fut alors imposée à l’armée d’une façon formelle. Ce fait est d’autant plus étrange que les exemples napoléoniens dont l’École se réclame enseignent précisément le contraire.

Ce point est trop important, pour ne pas être complètement élucidé.

Au cours des opérations, Napoléon étendait son armée sur les fronts les plus vastes, qu’avant ou après lui aucun général, avec des effectifs analogues, ait jamais occupés. Il tenait à em-