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la respiration maritime dont ils ne peuvent se passer ; l’Angleterre y combat pour sa prééminence navale et son hégémonie commerciale ; l’Amérique s’y élance avec la fougue d’expansion que donnent à un peuple jeune les grands succès militaires et économiques ; le Chinois, souple et laborieux, envahit silencieusement toutes les terres à sa portée et fait « tache d’huile » de Singapour à San Francisco ; les Allemands, les Français, les Hollandais défendent leurs colonies et entendent prendre leur part de la mise en valeur des richesses de l’Extrême-Orient. Le monde, jusqu’ici, n’a jamais vu de pareils problèmes résolus pacifiquement ; jamais, jusqu’à nos jours, de tels conflits d’intérêts ne se sont terminés sans un conflit armé. Est-il réservé à notre siècle de trouver une solution amiable à d’aussi graves compétitions, où se jouent les destinées des peuples et l’avenir de la civilisation ? On voudrait le croire, mais il est prudent d’agir comme si l’on en doutait. Quoi qu’il en soit, d’ailleurs, il est certain, — et c’est la conclusion qui s’impose pour ces quelques pages, — que, dans le monde du Pacifique, naguère encore ignoré des politiques, se préparent les grands événemens et se forment les grandes puissances de l’avenir ; et, sur ce théâtre des antipodes, l’histoire prend des aspects inattendus et bouleverse les vieilles données du problème de l’hégémonie. Ici, la maison d’Autriche n’apparaît pas, ni le Turc ni l’Italie, ni l’antique antagonisme du chrétien et du musulman ; l’Espagne a disparu de la scène au moment même où se levait le rideau ; l’Allemagne et la France font encore figure, mais à l’arrière-plan, à peine au même rang que la Hollande ; la race britannique garde un premier rôle, mais ce n’est plus la vieille Angleterre, ce sont des personnages nouveaux, l’Australie, le Canada ; enfin, tout le devant du théâtre appartiendrait sans conteste aux deux colosses, au maître des continens et au maître du Pacifique, au Russe et à l’Américain, s’ils ne devaient faire place au remuant et audacieux petit homme jaune, au Japonais, en attendant peut-être le Chinois.


RENE PINON.