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septentrionales du Céleste-Empire, en particulier la Mandchourie ; c’est pourquoi les Américains attachent maintenant tant de prix à obtenir de la Russie rengagement de ne pas mettre de droits de douane en Mandchourie et de ne pas « fermer la porte. » Ce trafic enrichit les deux compagnies de chemin de fer ; elles font actuellement construire, dans les chantiers du Connecticut, deux bateaux énormes qui auront Seattle comme port d’attache et qui sont destinés aux relations d’échange avec l’Extrême-Orient. En même temps les armes américaines ouvraient de nouveaux débouchés au commerce de l’Union ; un seul combat, en coulant bas l’escadre espagnole, établit les vainqueurs au cœur même du monde de l’Extrême-Asie, dans une admirable position, à proximité des côtes de la Chine, du Japon, de l’Indo-Chine française, de Bornéo, des îles Malaises et de l’Australie. Les États-Unis qui, quelques mois auparavant, se désintéressaient des affaires de l’Extrême-Orient, s’y installaient non seulement comme une puissance commerciale de premier ordre, mais encore comme une puissance territoriale et militaire.

Cette poussée d’expansion à travers le Pacifique, toujours plus loin vers l’Occident, est l’aboutissement naturel de cette marche vers l’Ouest qui a été la loi du développement des États-Unis. Etapes par étapes, à mesure qu’arrivaient les flots de l’immigration, les colons poussés par l’appât d’un gain plus fort, ou par « cet instinct de déplacement sans trêve et sans but qui est au fond du cœur de tout Américain[1], » franchirent d’abord les Alleghanys, se répandirent dans les bassins du Mississipi et de l’Ohio, « dirigèrent leur marche à travers les prairies nivelées et infinies comme la mer, ou remontèrent les vallées des grands cours d’eau solitaires, traversèrent les passes qui contournent les pics altiers des Montagnes Rocheuses, se frayèrent une route laborieuse à travers les déserts mélancoliques de sauge et de soude, et enfin, forçant le passage dans la sombre épaisseur des bois qui forment une lisière sur la côte, contemplèrent les vagues régulièrement soulevées du plus vaste des océans[2]. » La fièvre de l’or a peuplé la Californie, fait de San Francisco l’une des grandes villes du monde. Après la ruée turbulente des mineurs, est venu le colon agricole, plus stable, plus pacifique.

  1. Roosevelt, la Vie au rancho (traduction Savine, Paris, Dujarric, 1905 p. 9.
  2. Ibid., p. 130.