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émigrans, interdire à l’empire du Mikado tout espoir d’expansion en Asie.

Tels sont les positions et les intérêts respectifs de la Russie et du Japon sur les rives du Pacifique. Il appartient à la diplomatie de trouver une solution pacifique au différend, ou aux armes de le trancher ; nous ne nous proposions, ici, que de montrer les adversaires en présence, expliquer les origines du conflit et l’importance de l’enjeu.


III

L’apparition des États-Unis d’Amérique, dans les affaires de cet Extrême-Orient qui est pour eux l’Extrême-Occident, a été subite et foudroyante comme l’entrée de l’amiral Dewey dans la baie de Manille. Jusqu’à ces dernières années, des citoyens américains avaient bien des intérêts dans le monde jaune, mais les États-Unis n’y avaient pas de politique ; dans la guerre de 1894-1895, ils n’intervinrent pas ; en 1897 encore, le secrétaire d’État Sherman disait à un diplomate français que l’Union ne faisait pas un sou de commerce avec la Chine et qu’elle n’y enverrait jamais un soldat. Tout changea brusquement du jour où, à l’abri des tarifs protecteurs, l’industrie américaine se fut mise en mesure d’exporter ses produits et de faire concurrence aux articles anglais et allemands. Elle se tourna naturellement vers les grands marchés de l’avenir, vers l’immense Asie et vers ce monde du Pacifique qui s’ouvrait devant elle. Ce fut la concentration, entre les mains d’un homme d’audacieuse initiative, de deux des grandes lignes transcontinentales, le Northern Pacific et le Great Northern, qui accéléra le mouvement du commerce de l’Amérique du Nord vers les pays de l’Extrême-Asie. Aux deux chemins de fer, il s’agissait de trouver du fret : les trains allant vers l’Est étaient facilement chargés par les produits agricoles des ranchos de l’Ouest, le bétail, les blés, les beurres ; mais les wagons revenaient à vide vers le Pacifique. Une compagnie se forma pour exporter en Asie les bois des Montagnes Rocheuses et ces grosses cotonnades du Massachusetts, tissées avec les fils de qualité inférieure que l’on tire des brins de coton trop courts ; les Chinois du Nord font un grand usage de ces fortes étoffes qu’ils transforment en pantalons, en chaussures. Bientôt un courant d’échanges s’établit entre les ports du Pacifique et les provinces