Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/783

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’armes de 1900 ne modifia pas l’animosité profonde des Japonais vis-à-vis des Russes, dont ils constataient partout, dans fa Chine du Nord, l’influence grandissante. Une crise économique et financière vint encore aviver les ressentimens et stimuler les ambitions des Japonais ; les sentimens qui les poussent à la guerre et à l’expansion en Asie et dans le Pacifique ne sont, en effet, que l’expression de besoins économiques très pressans et la conséquence de l’organisation même de la vie matérielle du peuple japonais.

Dans les bornes étroites des îles nippones se presse une population de près de 44 millions d’habitans, qui s’accroît chaque année d’un demi-million, et qui atteint une densité moyenne de 140 habitans par kilomètre carré, qu’elle dépasse de beaucoup dans quelques endroits, comme l’île de Kiou-Siou. L’archipel est loin de suffire à nourrir toute cette masse d’hommes ; certaines régions, notamment la plus grande partie du Hokkaido (l’île de Yeso) sont à peine cultivables et à peine habitées[1]. C’est donc pour le Japon une nécessité de se procurer des colonies où le trop-plein de sa population puisse émigrer et qui lui fournissent le riz et le poisson séché dont il se nourrit. Ainsi s’explique l’expansion japonaise ; à travers le Pacifique, elle s’est dirigée vers Hawaï, vers les Samoa, les États-Unis, l’Australie. Plus près de lui, le Japon a convoité les Philippines, mais, un beau jour, il y a trouvé, au lieu des Espagnols, les Américains et il a dû renoncer à cette belle proie. Aux Sandwich, dans les îles du Grand Océan, il se heurte à l’expansion des États-Unis ; l’Australie ferme ses portes à toute immigration, l’Amérique les entr’ouvre à peine. Il ne restait aux Japonais que l’empire chinois déjà surpeuplé, où des ingénieurs et des industriels peuvent trouver leur place et réaliser des bénéfices, mais où la main-d’œuvre est trop bon marché et la terre trop bien cultivée pour permettre d’écouler le surcroît des populations misérables de l’archipel nippon.

A Formose, la seule conquête qu’ils aient gardée de leurs victoires de 1895, les Japonais se sont appliqués à mener à bien leur première expérience de colonisation ; mais la prise de possession, violente, parfois même barbare, sans aucun respect des coutumes ou des droits des indigènes, a aliéné pour longtemps

  1. Voyez dans la Revue du 1er février, l’article de M. Villetard de Laguérie.