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auprès de ces marchés. Nous voudrions aujourd’hui montrer, sur cette scène nouvelle, ces vieilles nations en concurrence avec les Etals plus jeunes qui sont issus d’elles : les États-Unis, le Dominion du Canada, la Fédération australienne ; ou avec ce Japon, dont les dehors européens cachent une âme si profondément asiatique et si impénétrable à notre analyse.


I

Dans les brumes de l’Océan Glacial, le continent américain et le continent asiatique se rapprochent par leurs pédoncules extrêmes ; au détroit de Behring, ils ne sont plus séparés que par un bras de mer peu large et peu profond ; le chapelet des îles Aléoutiennes relie l’une à l’autre les deux côtes pareillement abruptes, glacées et stériles. Mais, à mesure que les deux masses continentales s’éloignent des solitudes polaires, elles se séparent rapidement l’une de l’autre, pour laisser entre elles l’immensité du Grand Océan. Entre ces deux rives du Pacifique le contraste est complet. La côte américaine, escarpée, constamment dominée par les sommets des Montagnes Rocheuses ou de la Cordillère, ne présente ni une embouchure de grand fleuve, ni une plaine de quelque étendue ; de loin en loin seulement quelques vallées étroites et courtes, quelques rades cachées dans les rochers et, vers le nord surtout, une poussière de petites îles, débris des montagnes prochaines, témoins du séculaire combat de la vague et du granit. Dès que l’on a quitté la côte, on ne trouve plus une seule terre pendant des centaines et des centaines de milles ; à peine quelques rochers isolés, comme les Galapagos ou cette île de Pâques, qui montre, au voyageur stupéfait, les vestiges grandioses d’une civilisation mystérieuse, œuvre d’une race inconnue, disparue peut-être dans l’abîme des flots avec le continent qui la vit fleurir. Sur sa rive asiatique, au contraire, le Pacifique s’émiette en un réseau de mers intérieures, de détroits et de golfes profonds ; il s’insinue parmi d’innombrables îles, il entoure d’énormes archipels comme le Japon, la Malaisie, Bornéo, Célèbes ; des fleuves gigantesques lui apportent leurs eaux troubles et font pénétrer ses marées à des centaines de kilomètres dans les terres ; des plaines indéfinies viennent mourir sur ses bords en d’indécis rivages. Ces régions, où le Pacifique semble vouloir se mêler à l’Asie pour mieux s’unir à elle, sont