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instant de s’éclairer au soleil, quand pour moi le crépuscule est commencé. Vue d’ici, elle reprend ce même aspect de muraille mondiale qu’elle avait pour se montrer à nous la première fois, quand nous l’abordions par le golfe Persique ; elle est moins violente de couleur, parce que nous sommes dans les climats du Nord, mais elle se détache aussi nette dans la même pureté de l’air, au-dessus des autres choses terrestres. Quand nous l’avions aperçue, en arrivant par le golfe torride, il fallait la gravir et elle nous réservait tout son inconnu. Nous venons d’en redescendre maintenant, après y avoir fait une chevauchée de quatre cents lieues, à travers tant de montagnes, de ravins, de fondrières ; elle va s’éloigner, dans le lointain terrestre et dans le passé des souvenirs. De tout ce que nous y avons vu d’étrange pour nos yeux, ceci nous restera le plus longtemps : une ville en ruines qui est là-haut, dans une oasis de fleurs blanches ; une ville de terre et d’émail bleu, qui tombe en poussière sous ses platanes de trois cents ans ; — des palais de mosaïques et d’exquises faïences, qui s’émiettent sans recours, au bruit endormeur d’innombrables petits ruisseaux clairs, au chant continuel des muezzins et des oiseaux ; — entre de hautes murailles émaillées, certain vieux jardin empli d’églantines et de roses, qui a des portes d’argent ciselé, de pâle vermeil ; — enfin tout cet Ispahan de lumière et de mort, baigné dans l’atmosphère diaphane des sommets...


PIERRE LOTI.