Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/775

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La route qui serpente dans ces bois, en descendant toujours, est entretenue comme chez nous et rappelle quelque route de France dans les parties très ombreuses de nos Pyrénées ; mais les passans et leurs bêtes demeurent asiatiques : caravanes, chameaux et mulets harnachés de perles ; dames voilées, sur leurs petites ânesses blanches.

Cependant on commence à rencontrer, le long du chemin vert, plusieurs maisons qui ont un air tout à fait dépaysé dans cet Orient : des maisons entièrement bâties en grosses poutres rondes, telles qu’au bord de l’Oural ou dans les steppes de Sibérie. Et sur le seuil de ces portes, se montrent des hommes en casquette plate, blonds et rosés, dont le regard bleu, après tous les regards si noirs des Iraniens, est comme voilé de brume septentrionale ; la Russie voisine, qui a construit cette belle route, a laissé partout des agens pour la surveiller et l’entretenir.

Vers la fin de l’étape, nous sommes au niveau de la mer Caspienne (qui est encore, comme on sait, de trente pieds plus élevé que celui des autres mers) et nous faisons halte au crépuscule, dans un vieux caravansérail en planches de hêtre, au milieu d’une plaine marécageuse, fleurie de nénuphars, habitée par des légions de grenouilles et de tortues d’eau.


Mercredi 6 juin. — Trois heures de voyage le matin, toujours dans la verdure, au milieu des figuiers, des noyers, des mimosas et des hautes fougères, pour arriver à la petite ville de Recht, qui n’a même plus la physionomie persane. Finis, les murs en terre, les terrasses en terre de la région sans pluie ; ces maisons de Recht, en brique et en faïence, ont des toitures recouvertes de tuiles romaines, et très débordantes à cause des averses. Des flaques d’eau partout dans les rues. Une atmosphère orageuse, et si lourde !

Une heure encore jusqu’à Piré-Bazar, où finit cette grande route presque unique de la Perse. Un canal est là, enfoui sous la retombée des joncs en fleurs, et surchargé de barques autant qu’un arroyo chinois ; il représente la voie de communication de l’Iran avec la Russie, et tout un monde lacustre s’agite sur ce mince filet d’eau : bateliers par centaines, guettant l’arrivée des voyageurs ou des caravanes.

Il faut fréter une de ces grandes barques, et on s’en va, halé