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clochetons fuselés, le même revêtement d’émail vert, jaune et noir, les mêmes zébrures de peau de serpent.

Et tout de suite notre voiture roule dans un petit désert de pierrailles et de terre grisâtre, où flotte une horrible odeur de cadavre : des ossemens jonchent le sol, des carcasses à tous les degrés de décomposition ; et c’est le cimetière des bêtes de caravane, chevaux, chameaux ou mulets. Dans la journée, le lieu est plein de vautours ; la, nuit, il devient le rendez-vous des chacals.

Nous nous dirigeons vers le Démavend, qui s’est dégagé du haut en bas. Plus peut-être qu’aucune autre montagne au monde, il donne l’impression du colossal, parce qu’il n’est accompagné par rien dans le ciel ; il est un cône de neige qui s’élance solitaire, dépassant de moitié toute la chaîne environnante. A ses pieds, on aperçoit la tache verte d’une oasis, déjà élevée de cent ou cent cinquante mètres au-dessus du niveau de la ville ; et c’est là que se sont réfugiées les légations européennes pour la saison brûlante.

En nous éloignant du petit désert aux vautours, nous rencontrons d’abord quelques grands bocages, laborieusement créés de main d’homme, ceux-ci, et entourés de murailles : résidences d’été pour des grands seigneurs persans et kiosques émaillés de bleu pour les dames de leur harem. La route ascendante devient bientôt presque ombreuse ; elle a pour bordure des grenadiers, des mûriers chargés de fruits où des gamins en longue robe font la cueillette ; et nous arrivons enfin à l’oasis entrevue. En ce pays où presque tous les parcs, tous les bosquets sont factices, on est ravi de trouver un vrai petit bois comme ceux de chez nous, avec des arbres qui semblent avoir poussé d’eux-mêmes, avec des buissons, des mousses, des fougères. — La Légation de France est dans cet éden, au pied des neiges, parmi les arbres d’eau, les frêles peupliers, les herbes longues ; autour de la maison, courent des ruisseaux froids ; on entend chanter les coucous et les chouettes ; c’est tout l’appareil, toute la fraîcheur frileuse d’un printemps en retard sur le nôtre, d’un printemps qui sera court, très vite remplacé par une saison torride. Et, dès que la nuit tombe, on frissonne comme en hiver sous les feuillages de ce bois.


28 mai. — A une heure après-midi, je quitte le bocage si