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occupe le devant de cette estrade, où le Chah, dans les grands jours, se montre accroupi sur des tapis brodés de perles, la tête surchargée de pierreries, et faisant mine de fumer un kalyan tout constellé, — un kalyan sans feu, sur lequel on place d’énormes rubis pour imiter la braise ardente.

Comme dans les vieux palais d’Ispahan, une immense ogive, pour auréoler le souverain, se découpe là-bas derrière ce trône aux blancheurs transparentes ; elle est ornée, ainsi que les plafonds, d’un enchevêtrement d’arabesques et d’une pluie de stalactites en cristal. Et tout cela rappelle le temps des rois Sophis ; c’est toujours ce même aspect de grotte enchantée que les anciens princes de la Perse donnaient à leurs demeures. Sur les côtés de la salle, des fresques représentent des chahs du temps passé, sanglés dans des gaines de brocart d’or, personnages invraisemblablement jeunes et jolis, aux sourcils arqués, aux yeux cerclés d’ombre, avec de trop longues barbes qui descendent de leurs joues roses, pour couler comme un flot de soie noire, jusqu’aux pierreries des ceintures.

Un de nous, de temps à autre, soulève un coin du grand voile, afin de laisser filtrer un rayon de lumière dans cette demi-nuit ; alors, aux plafonds obscurs, les stalactites de cristal jettent des feux comme les diamans. Nous sommes un peu en contravention, en fraude ; cela rend plus amusante cette furtive promenade. Et un chat, un vrai, — si des Persans me lisent, qu’ils me pardonnent cet inoffensif rapprochement de mots, — un beau chat angora, bien fourré, aimable et habitué aux caresses, qui est en ce moment le seul maître de ces splendeurs impériales, un chat assis sur le trône même, nous regarde aller et venir avec un air de majestueuse condescendance.

Quand nous sortons de là, pour faire encore une fois le tour des pièces d’eau, même silence partout et même solitude persisitante. Les cygnes glissent tranquillement sur ces miroirs ; ils tracent des sillages qui dérangent les reflets des hautes parois en faïence rose, des grands cyprès, des grands lauriers, des fleurs et des nostalgiques bosquets. Rien d’autre ne bouge dans le palais, pas même les branches, car il ne vente plus ; on n’entend que les gouttelettes tomber des feuillages encore mouillés.

A la fin du jour, nous quittons Téhéran par une porte opposée à celle de ce matin, mais toute pareille, avec les mêmes