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aspect maussade se présente cet amas quelconque de maisons, froidement grises, sous un ciel de pluie !

De plus en plus nombreux, les passans sur la route ; des gens qui nous croisent et qui tous ont l’air de s’en aller. Sans doute l’exode de chaque printemps commence ; l’été de Téhéran est à ce point torride et malsain que la moitié de la population s’éloigne en mai pour ne revenir qu’en automne. C’est maintenant un défilé d’attelages de toutes sortes, — et chacun fait un écart, pour des chevaux morts, le ventre ouvert par les vautours, qui gisent de distance en distance au milieu de la voie, sans que personne ait l’idée de les enlever.

Comme tout est noir, au-dessus de cette capitale de l’Iran ! Des épaisseurs de nuées, derrière lesquelles on devine des épaisseurs de montagnes, emplissent le ciel de leurs masses presque terrifiantes. — Et toujours, dans une déchirure qui persiste, le Démavend nous montre confusément sa pointe, argentée sur un fond sombre ; on voit bien que ce n’est pas un nuage, que c’est une chose solide, de la nature des rocs, mais cela semble monté trop haut pour appartenir à la terre ; et puis on dirait que cela surplombe... Cela fait partie de quelque astre étranger sans doute, qui s’approche sans bruit derrière ces rideaux de ténèbres, — et le monde va finir...


Les portes de Téhéran. Elles luisent sous la pluie cinglante. Elles sont flanquées de quatre petites tourelles ornementales, fines comme des hampes, et un revêtement de briques vernissées recouvre le tout, — des briques jaunes, vertes et noires, formant des dessins comme on en voit sur la peau des lézards ou des serpens.

Dans la ville, c’est la déception prévue. Sous l’averse, toutes les ruelles qu’il nous faut suivre, jusqu’à l’hôtellerie, sont des fleuves de boue, entre des maisonnettes en brique, sans fenêtres, maussades, incolores, donnant l’envie de fuir.

L’hôtellerie est pire que tout ; le plus sauvage des caravansérails valait mieux que cette chambre obscure et démodée, sur un jardinet mouillé dont les arbres ruissellent. Et je reçois en libérateurs les aimables Français de la Légation qui viennent m’offrir l’hospitalité dans la maison de France.

Elle a déjà fui Téhéran, notre Légation, comme toutes les autres ; elle s’est installée pour l’été à la campagne, à deux lieues