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arbustes sont les seuls à bien des lieues à la ronde ; et sans doute, dans ce hameau si perdu, on pense plusieurs semaines d’avance à ces cueillettes crépusculaires, réservées aux longs soirs de mai ; on ne connaît pas au cours de l’année d’autre fête... Quand c’est fini, la nuit tombe avec le froid ; les solitudes, semble-t-il, s’agrandissent partout alentour, l’isolement extrême s’indique davantage. Ce petit groupement humain n’a pas de murailles, comme en avaient ceux des oasis du Sud ; la porte de notre gîte enfumé ne ferme pas, et nous nous endormons le revolver à la main.


Jeudi 24 mai. — Départ de grand matin, afin d’arriver ce soir dans la ville de Koum, réputée pour sa mosquée revêtue d’émail d’or, où repose la sainte Fatmah, petite-fille du Prophète.

Après cinq ou six heures de route dans un lumineux désert, dont les sentes sont jalonnées d’ossemens, vers midi, à l’instant des fantasmagories et des mirages, quelque chose étincelle là-bas, dans l’inappréciable lointain, presque au delà des horizons ; quelque chose qui n’est perceptible à l’œil que par son rayonnement, comme les étoiles ; un astre qui se lève, un globe d’or, un feu, on ne sait quoi d’inusité et de jamais vu...

— Koum ! dit le conducteur des chevaux, en indiquant cela du doigt... Alors, ce doit être le fameux dôme d’or, qui miroite au soleil méridien, qui est comme un phare de plein jour, appelant les caravanes du fond du désert... Cela paraît et disparaît, au hasard des ondulations du terrain, et, après que nous avons trotté plus d’une heure dans cette direction sans nous en être rapprochés sensiblement, cela s’éclipse tout à fait.

Il est quatre heures du soir, quand nous apercevons les arbres de l’oasis de Koum, les champs de blé, et enfin la ville ; amas sans fin de ruines grises, toujours et toujours, décombres et fondrières. Il y a naturellement des coupoles par milliers, des donjons, des minarets partout, et de toutes les formes ; des tours d’une couleur beige, des tours roses, qui sont coiffées comme d’un turban d’émail bleu. Et, sur chaque pointe dressée vers le ciel, se tient gravement une cigogne, debout dans son nid. Il y a beaucoup de jardins à l’abandon, qui sont remplis de grenadiers en fleurs et dont le sol est empourpré par la jonchée des pétales... Mais ce dôme d’or, ce tombeau de Fatmah, entrevu de