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rendre compte de sa mission avortée. Rovigo, parti une heure avant lui, avait été plus heureux. Après avoir vu Decrès, qui, tout en montrant beaucoup d’inquiétude de cet article 5, s’était déclaré impuissant à le faire rapporter, il avait couru aux Tuileries où la Commission tenait sa séance du soir. A l’issue du conseil, Rovigo arrêta Fouché au passage. Le duc d’Otrante l’écouta en feignant de ne pas bien comprendre tout ce qu’il racontait et finit par dire que, le lendemain, « il ferait résoudre cela selon le désir de l’Empereur par la Commission de gouvernement, » Carnot et Caulaincourt avaient entendu la fin de l’entretien. « On ne veut mettre nul obstacle au départ de l’Empereur, » déclara Carnot. Et il ajouta, avec une ingénuité un peu brutale, mais sans méchanceté : « Bien au contraire, on veut prendre des mesures pour ne plus le revoir. » « Qu’il parte ! qu’il parte ! s’écria Caulaincourt, il ne pourrait le faire trop tôt. » « Soit, répondit Rovigo, mais pourquoi ne satisfait-on pas à sa demande ? Ce refus n’a point de motif raisonnable et les conséquences en rejailliront sur ceux qui s’en seront rendus coupables. » Le duc de Vicence s’éloigna sans répliquer.

Très peu confiant dans la promesse de Fouché, Rovigo vint le relancer le lendemain de grand matin. Fouché l’assura qu’il allait porter la question devant la Commission et que le ministre de la Marine ne tarderait pas à recevoir l’ordre de mettre les frégates à la disposition de l’Empereur. Cette fois, le duc d’Otrante disait vrai. Il s’était résigné à laisser Napoléon quitter la France. Ce changement d’idée était-il dû à des exhortations, à des remontrances de Carnot, de Caulaincourt, de Davout ? Il pouvait aussi y avoir des motifs moins généreux et plus puissans. Peut-être, à la réflexion, Fouché jugeait-il qu’il serait dangereux de pousser à bout Napoléon. Il savait que, dans l’entourage de l’Empereur et parmi les officiers généraux présens à Paris, nombre de gens l’engageaient avec ardeur à reprendre le commandement. La veille, des ministres, des députés, des généraux, avaient été reçus par lui. « Vingt voitures, dit un rapport de police, stationnaient devant la grille de la Malmaison. » La population agissante de Paris manifestait son indignation que l’on eût relégué l’Empereur à la Malmaison comme un prisonnier. Des bandes d’ouvriers et de soldats parcouraient les rues avec des cris menaçans. Des appels à l’émeute, des écrits incendiaires étaient jetés la nuit sur le pas des portes. Enfin, la proposition de