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par celui-ci à Fouché, le duc d’Otrante avait différé de répondre. Puis, le 25 juin, sans d’ailleurs donner à Decrès aucune instruction touchant l’appareillage des frégates, i) avait fait demander par le ministre des Affaires étrangères, dans une lettre officielle au duc de Wellington, des sauf-conduits pour Napoléon.

Fouché ne pouvait douter du refus de Wellington. Aussi les contemporains mêlés aux événemens, Boulay, Thibaudeau, Rovigo, Lavallette, l’ont-ils accusé d’avoir fait cette démarche uniquement pour avertir les Anglais du départ projeté de Napoléon et les mettre à même de s’y opposer en renforçant leurs croisières sur les côtes de France. Fouché ne saurait être entièrement disculpé ; mais il semble que cet avis, au moins très imprudent, sinon infâme, n’était pas le seul ni même le principal motif de la lettre à Wellington. Fouché comptait trouver dans l’attente des sauf-conduits un prétexte plausible aux retardemens qu’il présumait devoir apporter au départ de Napoléon. Il voulait, par là, couvrir ses menées aux yeux des partisans et des amis que l’Empereur avait conservés dans les Chambres et dans l’armée. Certes Fouché croyait que Wellington n’accorderait pas les sauf-conduits ; mais Napoléon et plusieurs personnes de son entourage, qui se faisaient comme lui beaucoup d’illusions sur la magnanimité britannique, n’étaient pas sans espoir. Le duc d’Otrante ne risquait donc point d’être incriminé pour une démarche qui, du sentiment même de l’Empereur et de quelques-uns des plus fidèles bonapartistes, pouvait réussir. Et si, contre toutes ses prévisions, elle réussissait en effet, il serait heureusement dégagé par les alliés eux-mêmes de la responsabilité de Napoléon, et il le proclamerait son sauveur. Chez Fouché, il y a toujours double jeu, trame superposée, lame à deux tranchans, masque de Janus bifrons.

Le général Tromelin, porteur de la lettre à Wellington, courait vers le quartier général anglais, lorsque, le 26 juin, vers neuf heures du matin, Davout remit à Fouché la dépêche où Beker renouvelait, au nom de l’Empereur, la demande des deux frégates qui se trouvaient en rade de Rochefort. Lié implicitement par les termes de la lettre à Wellington, Fouché voulait moins que jamais consentir au départ de Napoléon. Mais Davout retardait la présence de l’Empereur à la Malmaison comme un grand embarras et même comme un danger. Il appréhendait qu’il