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ces visites, à son arrivée même à la Malmaison, l’Empereur avait dicté une proclamation ou plutôt un adieu à l’armée : « Soldats, je suivrai vos pas quoique absent. Je connais tous les corps, et aucun d’eux ne remportera un avantage signalé sur l’ennemi, que je ne rende justice au courage qu’il aura déployé. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d’apprécier nos travaux ont vu dans les marques d’attachement que vous m’avez données un zèle dont j’étais seul l’objet. Que vos succès futurs leur apprennent que c’était la patrie par-dessus tout que vous serviez en m’obéissant... Sauvez l’honneur, l’indépendance des Français. Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter. » Cette proclamation, qui ne pouvait qu’enflammer les soldats contre l’envahisseur, fut envoyée à Fouché, président du Gouvernement provisoire, pour être communiquée aux troupes et imprimée dans le Moniteur. Fouché tremblait de rappeler à l’armée même le nom de Napoléon. Comme si elle l’avait oublié ! Il enfouit la pièce dans un tiroir.

Sur le soir, le général Beker arriva à la Malmaison. Il avait pour mission ostensible de veiller sur Napoléon et pour mission secrète de le surveiller. Il fut reçu dans la jolie bibliothèque, toute revêtue de hautes vitrines de cèdre, incrustées d’ornemens de bronze doré, qui servait de cabinet de travail à l’Empereur. Beker était confus et peiné de sa mission. Il ne l’avait acceptée qu’à contre-cœur, et ce n’est pas sans trouble qu’il présenta respectueusement à l’Empereur la lettre de service de Davout : « Sire, dit-il, voici un ordre qui me charge, au nom du Gouvernement provisoire, du commandement de votre Garde pour veiller à la sûreté de votre personne. » L’Empereur ne se méprit pas sur l’attention que Fouché et Davout portaient à sa sûreté. Il en eut une révolte qu’il maîtrisa vite, et dit avec hauteur : « Je regarde cet acte comme une affaire de forme, et non comme une mesure de surveillance. Il était inutile de m’y assujettir, puisque je n’ai pas l’intention d’enfreindre mes engagemens. »

Beker était ému jusqu’aux larmes. « — Sire, dit-il, c’est uniquement pour vous protéger que j’ai accepté cette mission. Si elle ne devait pas obtenir l’assentiment et l’entière approbation de Votre Majesté, je me retirerais à l’instant même. » L’émotion sincère de Beker toucha l’Empereur. Adoucissant sa voix, il lui dit avec bonté : « Rassurez-vous, général, je suis bien aise de vous voir près de moi. Si l’on m’avait laissé le choix d’un officier, je