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rapports qui, suivant l’expression de M. Ribot, doivent rester empreints de loyauté et de courtoisie.

Nous avons peu parlé jusqu’ici de la séance du 22 janvier en elle-même : c’est un triste sujet de chronique. La décadence de nos mœurs parlementaires s’était rarement, ne s’était peut-être jamais, manifestée d’une manière plus affligeante. L’auteur de l’interpellation, M. Corrard des Essarts, l’avait pourtant développée avec beaucoup de convenance et de tact. Député de Lunéville et ami de M. l’abbé Delsor, il avait été le témoin de tous les détails de l’expulsion. Représentant de populations voisines de la frontière et vivant au milieu d’Alsaciens, peut-être est-il encore plus sensible que nous à des choses auxquelles nous le sommes pourtant beaucoup. Sa parole était émue, (mais son langage a été constamment grave et mesuré. Il a eu des expressions heureuses et un accent pénétrant qui ont paru produire un effet assez vif, mais malheureusement peu durable, sur la Chambre. « Si vous connaissiez, a-t-il dit, l’âme alsacienne, si vous en saviez le mystère, vous ne chercheriez pas à l’étaler à cette tribune ; vous ne tenteriez pas de connaître son secret, parce que son passé mérite qu’on lui fasse crédit de l’avenir... Si vous saviez, si vous aviez voulu savoir tout ce que depuis trente ans ces hommes-là ont consenti de sacrifices et subi d’humiliations pour essayer de concilier là-bas leurs préférences intimes avec la nécessité de vivre pour eux et pour leurs provinces ; si vous saviez tout cela, vous n’institueriez pas ici un pareil débat. » Mais ce débat, M. le président du Conseil le voulait. Nous avons dit que, huit jours auparavant, il lui aurait été facile de l’étouffer en quelques mots ; il a pris son temps, au contraire, pour l’étoffer et le corser davantage. Il tenait à faire publiquement le procès de M. l’abbé Delsor, et il s’était entouré pour cela de renseignemens ramassés un peu partout. Il n’a pourtant pas pu reprendre le député alsacien sur ses votes au Reichstag. On avait dit d’abord, dans les journaux ministériels, que M. Delsor avait voté les augmentations de crédit pour l’armée et pour la flotte allemandes : ces allégations s’étant trouvées fausses, il a fallu y renoncer. Mais M. Delsor a beaucoup écrit, trop sans doute. C’est un terrible métier que celui de journaliste, et qui expose à bien des désagrémens. Il ne résulte pourtant qu’une chose des nombreux articles de M. Delsor qui ont été lus à la tribune, c’est qu’ils ressemblent beaucoup à ceux qu’écrivent ou qu’ont écrits en France même les rédacteurs de certains journaux de l’extrême droite. Nous n’en approuvons, certes, ni le fond, ni la forme ; on étonnerait néanmoins beaucoup leurs auteurs si on leur disait qu’ils ne sont pas de bons Français. Quoi qu’il en soit,