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même temps une grande inexactitude. Qu’il y ait un parti qui s’appelle le nationalisme, nous le voulons bien ; pourtant, il y a aussi quelque chose qui s’appelle le patriotisme. Quand M. le président du Conseil alarme, inquiète, offense le patriotisme, et qu’il entend une clameur s’élever autour de lui, il se contente de dire : Nationalisme ! C’est trop commode. Ce qui montre que le nationalisme a été pour peu de chose dans l’affaire, c’est la lettre que M. Déroulède a écrite de Saint-Sébastien, le lendemain de la séance du 22 janvier. M. Déroulède a été presque satisfait des explications de M. le président du Conseil, qui, a-t-il dit, n’avait pas désavoué l’Alsace et la Lorraine. Il n’aurait plus manqué qu’il les désavouât ! M. Déroulède, jugeant les choses de loin, les a jugées de sang-froid. Il n’a pas tort à quelques égards, l’incident étant vidé, d’en atténuer l’importance. Tout ce que nous voulons à notre tour, c’est en déterminer le vrai caractère. Notre patriotisme a quelque chose de plus délicat, de plus susceptible et, si l’on veut, de plus vibrant qu’autrefois, parce que les idées qui s’y rattachent sont devenues un objet de discussions entre nous et presque un terrain de combat. Et le fait est nouveau. Voilà pourquoi on a pu expulser deux députés alsaciens en 1896, sans provoquer le même sursaut d’indignation qu’aujourd’hui, où on n’en a expulsé qu’un. Le gouvernement, en 1896, n’était pas suspect comme maintenant. Les esprits n’étaient pas inquiets alors comme ils le sont devenus. Il s’en faut de beaucoup que les mêmes choses aient la même signification, lorsqu’elles sont faites par d’autres hommes et à des époques différentes. Un roi de France a pu faire frapper un pape : c’était un fait fort brutal, mais sans danger pour la foi elle-même. M. Combes n’emploiera pas de pareils procédés, mais il fera plus de mal à la religion. De même, lorsqu’on l’a vu expulser de France un député alsacien, il a semblé que cette goutte d’eau faisait déborder le vase, parce que le vase était déjà plein, et qu’après la campagne odieuse qui s’était poursuivie dans notre pays contre les institutions où il trouve sa principale sauvegarde, ce dernier trait a porté, à tort ou à raison, à son comble les craintes et la colère de l’opinion. Nous avons cru recevoir un soufflet d’autant plus sensible qu’il nous était donné sur la joue de l’Alsace, et que nous considérons l’Alsace comme une partie détachée de nous-mêmes, à laquelle nous lient, avec réciprocité nous voulons le croire, d’impérissables souvenirs. Ces sentimens sont dans le cœur, nous aurions dit récemment de tous les Français, nous nous contenterons de dire aujourd’hui de presque tous, sans qu’il y ait rien là d’incompatible avec nos devoirs internationaux à l’égard de l’Allemagne,