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et pourtant ne l’était point. Un gouvernement qui aurait compris son devoir n’aurait pas eu grand’peine à dissiper le gros orage qui se formait sur sa tête. Un mot y aurait suffi, et ce mot, M. le président du Conseil l’a presque dit, mais trop tard. Il a avoué, dans la séance du 22 janvier, que M. le préfet de Meurthe-et-Moselle avait pris un arrêté « plus ou moins malencontreux, » et que ce fonctionnaire, s’il avait été mieux inspiré, aurait pu atteindre son but par des procédés moins violens. Si tel était le sentiment de M. le président du Conseil, pourquoi n’a-t-il pas agi en conséquence ? La moindre manifestation qu’il aurait faite dans ce sens à l’origine de l’affaire aurait apaisé le bouillonnement des esprits. La séance du 22 janvier n’aurait pas eu lieu, et tout le monde y aurait gagné. Mais, au lieu de dire en temps opportun le mot utile, ou, ce qui aurait encore mieux valu, de prendre tout de suite une mesure de pacification, M. le président du Conseil a demandé à la Chambre de remettre le débat à huitaine, ce qui lui a été naturellement accordé. Que voulait-il faire de ces huit jours ? On n’a pas tardé à le voir. Les journaux ministériels, remontant dans le passé de M. l’abbé Delsor, relevant un à un, et souvent avec inexactitude, tous les actes de sa vie politique, épluchant ses écrits, qui sont très nombreux et ne sont pas toujours mesurés, ont poursuivi contre lui une campagne de délations et d’injures qui ne l’atteignaient pas seul. M. Delsor est prêtre ; aussi sont-ce surtout les Alsaciens catholiques qui ont été rendus solidaires de son attitude et de son langage. Ni la majorité de la Chambre, ni le gouvernement lui-même ne paraissaient d’ailleurs se douter de ce qu’est aujourd’hui la situation de l’Alsace. Les coups étaient portés dans l’obscurité, parfois au hasard, toujours avec violence, et tombaient où ils pouvaient. Il était difficile et peut-être impossible qu’il en fût autrement ; c’est pour cela qu’il aurait fallu, presque à tout prix, faire avorter le débat. Mais tel n’était pas le sentiment de M. le président du Conseil. Tout au contraire, il a employé ses huit jours de délai à composer le dossier d’où il devait tirer contre M. l’abbé Desor un furieux réquisitoire : au lieu de calmer les passions, il n’a rien négligé pour les surexciter. Le résultat a été la séance du 22 janvier. M. le président du Conseil y a obtenu la victoire, il a eu une cinquantaine de voix de majorité ; mais c’est là une de ces victoires à la Pyrrhus qui laissent de l’amertume et de l’inquiétude dans le cœur même de ceux qui les remportent, et qui préparent les désagrégations futures. La majorité, quoique docile encore, éprouvait un véritable malaise à écouter et à suivre M. Combes, et, si celui-ci a l’oreille un peu fine, il a pu entendre