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dans les temples, qui trouble ou seulement diminue la piété ni la dévotion des fidèles ; rien qui puisse leur donner un motif raisonnable de dégoût ou de scandale ; rien surtout qui puisse offenser le décorum ou la sainteté des cérémonies ; rien qui soit indigne de la maison de la prière et de la majesté de Dieu. » Or il semble bien que la musique d’église ait pris à tâche, si ce n’est à plaisir, d’enfreindre de telles défenses et de justifier d’aussi graves reproches. Son état actuel n’est fait en quelque sorte que de ces divers élémens d’indignité.

Quant aux raisons de cette déformation et de cette déchéance, le Souverain-Pontife les a très finement et même très musicalement discernées. L’une consiste dans l’évolution et dans la nature de la musique, « flottante et variable par elle-même, » semblable à l’air dont elle est faite, et dont le poète aurait pu dire aussi :


<poem>Muta nome perché muta lato. </poem


Une autre cause de la corruption de l’art ecclésiastique est le plaisir que la musique seule et directement nous procure « et qu’il n’est pas toujours facile de contenir en de justes limites. » Pour l’Eglise et pour lui-même, saint Augustin naguère s’était défié de ce plaisir. Souvenez-vous de certain passage des Confessions : « La douce mélodie semble demander quelque place dans mon cœur ; elle en réclame même une avantageuse, et j’ai de la peine à voir juste laquelle je dois lui donner. »

Ce n’est pas seulement la mélodie (et laquelle !), c’est l’harmonie (laquelle également !), c’est l’orchestre, en un mot c’est l’appareil ou l’attirail complet de la musique profane qui depuis longtemps a pris trop déplace. On sait où sont descendus les offices religieux, et qu’à l’église, l’expression musicale de la vie tout entière, et de la mort même, en est trop souvent la contradiction, pour ne pas dire la dérision et la parodie. Nous n’exagérons pas, et le Pape, en ses instructions, dénonce et veut corriger non seulement « l’abus », mais « le scandale. » More theatrico, ces deux mots de saint Thomas d’Aquin, qu’on ne saurait trop rappeler, résument exactement l’art et le style ecclésiastique. Tout ou presque tout se passe à l’église comme à l’Opéra. Le mariage ou les funérailles sont accompagnées sur les planches de la scène et sur les dalles du sanctuaire par des chants analogues, si ce n’est par les mêmes chants. Il n’y a pas jusqu’à la prière, que la musique ne fasse mondaine et théâtrale, et, les jours de fête, on entend communément sur les airs du répertoire les paroles de la liturgie.