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Enfin, un chemin de fer de cette importance, posé à coups de milliards, peut-il développer sa section terminale sur un sol possédé par d’autres que ses constructeurs ? Une maison n’est le bien de son propriétaire que s’il en possède le corridor, la porte et la clef. Cette dernière section n’aura sa pleine valeur que si elle est solidement gardée par une population capable, à la fois, de défendre son débouché et de lui fournir une clientèle suffisante d’acheteurs et de vendeurs.

Toutes ces conditions sont réunies en Corée, et ne sont réunies que là. La nature a marqué elle-même l’emplacement du grand port terminal, de l’entrepôt asiatique de l’immense ligne ferrée qui traverse d’est en ouest tout l’ancien continent. Il est sur le littoral méridional, baigné par le détroit de Corée, à Masampho, où pourront trouver, sans se gêner mutuellement, tous les accommodemens désirables, un arsenal naval et un emporium commercial valant à la fois Toulon, Brest et Marseille. À 30 kilomètres au sud-ouest de Fousan, à l’abri des îles Koye et Katek, s’ouvre, dans la côte coréenne, un goulet, le Douglas Inlett. Long de 25 kilomètres, large en moyenne de 3, il débouche par un étranglement nommé Gate (la porte), dans un immense bassin, où la couche d’eau n’a nulle part moins de 8 mètres d’épaisseur, et qui est gardé au centre par une île, nommée Satao. Au nord, un canal entaille la berge. En le remontant pendant 6 kilomètres, on arrive à un second bassin où vient finir le Nam-Kang, artère fluviale, qui, par elle et par ses veines, draine tout le sud de la Corée. À l’angle du canal et du bassin Satao, est le petit village de pêcheurs, dont le nom, Masampho, a été donné à l’ensemble de cette admirable position navale.

L’espace est aussi vaste qu’à Taï-lien-ouan, où j’ai vu, en mai 1895, se mouvoir, et très à leur aise, cent grands vapeurs et vingt navires de guerre, dont les évolutions laissaient encore vide plus de la moitié de la baie. Qu’est, en comparaison de cet étang de Berre, non ensablé, le petit port de Fousan, si étroit que deux cargos n’y peuvent virer simultanément sans risquer une collision, et dont l’entrée, à peine large de 100 mètres, est toujours battue par une brise carabinée ? Il mérite trop bien son nom de « marmite » (Fousan ou Pousan). L’île Vachon (Deer Island), qui le barre, n’empêcherait pas les pointeurs primés d’une escadre d’y loger leurs obus comme dans un « tonneau. » Un chemin de fer peut avoir là sa gare terminale, mais à la condition de ne desservir que la Corée, et encore ! Une ligne transcontinentale ne peut aboutir qu’à Masampho. Mais, évidemment, Masampho est la clef stratégique et économique de la Corée et des mers du Japon et de la Chine septentrionale. Son possesseur les fermera à sa