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en obtenant la concession d’une autre, qui ira, perpendiculairement à la première, de Séoul à Fousan, sur le détroit de Corée.

Mais la Russie a terminé le Transsibérien et cherche toujours, dans le sens déterminé par l’histoire et la géographie, la solution du problème de sa croissance. Elle sait qu’elle ne la trouvera, elle aussi, qu’en Corée.

L’occupation de la Mandchourie lui ouvre 900 000 kilomètres carrés. Mais, peuplée de 12 millions d’êtres, cette vaste surface suffit à grand’peine à nourrir douze personnes par unité superficielle. De plus, les émigrans russes rencontreraient là, mais aggravées, les difficultés climatériques qui les éloignent des rives de l’Amour et de l’Oussouri. Dans les deux vice-royautés de Heï Loung Kiang et de Kirin, les minima de −40° et −50° centigrades sont fréquens en hiver ; l’automne commence avec septembre, et les froids avec octobre. Il pleut très abondamment pendant les deux mois de juin et juillet. Dans la longue presqu’île du Chinking, dont les Chinois appellent la pointe : l’Épée du Régent, la température n’est supportable qu’aux environs immédiats de Port-Arthur, où le thermomètre descend rarement jusqu’au zéro. Mais elle est très dure dans les régions du centre et du nord. J’ai vu, le 20 janvier 1895, la baie de Taï-lien-ouan entièrement gelée, au point que les soldats traversaient sur la glace l’anse de Jokosan. En allant à cheval, ce jour-là, à Chin-chow-chang, distant de 10 kilomètres, j’ai constaté une tenue de −21° centigrades.

L’armée du maréchal Nodzou, où servait, comme général de la 3e division, le président actuel du Conseil nippon, le maréchal Katsoura, a été très durement éprouvée par des températures de −30°, en opérant contre Niouchouang, pendant les mois de janvier et février 1895. La gelée lui a coûté beaucoup plus de monde que le feu de l’ennemi. Et il faut encore tenir compte de la concurrence, certainement victorieuse, qu’opposeraient les Chinois et les Mandchous, parfaitement adaptés à leur milieu, et, sauf la passion de l’opium, indemnes des habitudes funestes des moujiks.

Est-il nécessaire d’ajouter que le Transmandchourien et le Transsibérien ne seront les puissans outils économiques voulus par leurs créateurs que si leur ruban d’acier aboutit droit à la grande route des paquebots autour de la Terre ? Actuellement, les dernières gares sont à Vladivostok et à Port-Arthur, écartés de cette grande route par trois pleines journées de navigation. Et Vladivostok a, en outre, le grave désavantage d’être régulièrement bloqué par les glaces du 1er décembre au 15 mars. L’hiver, c’est un fond de sac.