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Les Japonais ne peuvent penser à aller sceller la pierre de leur foyer ni en Indo-Chine, d’où des mesures fiscales rigoureuses les ont prudemment écartés, ni dans les îles de la Sonde, vigilamment gardées par les Hollandais, ni en Chine, où les Chinois, bien autrement armés pour les luttes contre la misère, sont loin de trouver tous de quoi vivre. Reste donc, pour hospitaliser l’émigration nipponne, la Corée. Elle étale, à 200 kilomètres de Kiouchiou et de l’entrée de la Mer Intérieure, une surface de 22 millions d’hectares, dont plus de la moitié est laissée en jachère par 10 millions des êtres humains les plus doux, mais aussi les plus insoucians et les plus jouisseurs, que supporte la Terre. C’est une Inde, une Égypte, à portée de la main, pour ainsi dire, des Japonais. Ils en connaissent mieux que personne les richesses souterraines et la fertilité superficielle. Rien ne les gênerait là : ni les rigueurs du climat, ni les droits des propriétaires séculaires du sol. Ils pourraient y déverser pendant un siècle la marée montante de leurs émigrans, sans les perdre, en enrichissant de leurs contributions le trésor mikadonal, et en augmentant de leurs recrues l’armée nationale. Aussi, depuis plus de deux mille ans, n’ont-ils pas renoncé au dessein de s’approprier la propriété des malheureux Coréens.

Une première fois, au iiie siècle avant notre ère, ils conquirent la presqu’île, sous le commandement de l’impératrice Daï Dzingou. Pour certifier l’existence de cette « princesse lointaine, » ils conservent et exhibent dans le temple de son ancêtre Amaterasou, à Kobé, un fragment, que j’ai vu, du casque porté par elle pendant cette victorieuse campagne. Mais leur conquête leur échappa presque aussitôt. Pendant les dix-huit siècles suivans, la dignité impériale s’affaiblit graduellement ; le palefrenier Yoritomo fonda le shogounat, au temps où, chez nous, chantait au lutrin le roi Robert, et filait la reine Berthe aux grands pieds ; et le régime féodal exerça sur le Japon tout entier sa turbulence anarchique. La Chine en profita pour s’emparer de la Corée. Le législateur Ki-tza est le héros éponyme de cette grande révolution. Au xive siècle, la Chine intervint encore et pacifia le pays en donnant l’investiture à la dynastie, encore régnante, de Han, par l’intronisation de son plus ancien chef connu, Ouen-ta-tchao.

Au xvie siècle, le Japon ressuscita ses prétentions. En 1592, le shogoun Yedeyochi envoya une armée commandée par le général chrétien Konishi. La Corée fut conquise entièrement et sauvagement dévastée jusqu’en 1598, date à laquelle les Chinois expulsèrent les envahisseurs, en ne leur laissant que Fousan, pied-à-terre sur la côte sud, en face du détroit de Simonosaki, comme on sait.