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ser la discussion, et la résistance du ministère russe à l’admettre, qui enveniment le différend, et donnent lieu de craindre le recours à l’argument suprême des litiges dans lesquels sont engagés l’honneur et les intérêts essentiels de deux nations.

Il suffit d’analyser les élémens de la question coréenne pour justifier cette manière de voir. La Corée est lapis iniquitatis et petra scandali entre la Russie et le Japon, parce que l’une et l’autre sont condamnés à émettre tous les ans des essaims d’émigrans, et que le « Pays du Matin Calme » leur fournit la surface le plus à leur portée, le plus aisément occupable, la moins encombrée de population, et la plus propice par sa nature et son climat.

La principale chaîne coréenne, les montagnes de Diamant, dressée presque à pic le long du littoral oriental baigné par la mer du Japon, tient au système mandchourien des Kinghanes comme une côte à la colonne vertébrale. Les vallées divergentes du Touman et du Yalou continuent la plaine de l’Oussouri et du bas Saghalien. Et, au delà de ce fossé, tel le glacis d’une forteresse, la Corée s’allonge vers le sud en une pente, parfois fortement accidentée, dont les dernières ondulations plongent dans le bras de mer qui sépare le Japon du continent asiatique. L’orientation, presque nord-sud, de cette pente achemine, sans transition brusque, du climat sibérien au régime atmosphérique des zones tempérées et des régions subtropicales. Parti des maigres champs d’orge, d’avoine, des rives de l’Oussouri, du Touman et du Yalou, le voyageur passe, à travers une série de changemens si légers qu’ils sont à peine perceptibles, aux champs de pois et de blé du Daïdoko, aux rizières du Han, et bientôt aux cotonnières, aux plantations de mûriers et aux forêts de camphriers de la vallée du Nam-Kang, la rivière de Masampho.

Mais, d’autre part, cette Corée, prolongement naturel de la Sibérie, n’est pas totalement isolée du Japon. La convulsion géologique qui a donné à l’Asie son aspect actuel en exhaussant le Plateau Central, en vidant par les brèches de son rebord oriental l’océan intérieur que les vieilles annales chinoises nomment Han-Haï, et en creusant, par compensation, les profondes fosses des mers de Behring, d’Okhotsk, du Japon et de Chine, n’a pas fait disparaître tout lien entre le tronc continental et l’ancien rivage, devenu un chapelet rompu d’archipels. De Yézo, un géant chaussé de bottes-fées pourrait aller, de Kourile en Kourile, au Kamtchatka, et de Kiouchiou, par Iké et Tsouchima, jusqu’à Fousan, en voyant toujours, derrière lui et devant lui, les pierres successives de son gué. Ces rochers ne sont pas les « brillantes Cyclades, » mais