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fût au moins dit par la voix intérieure qui, évidemment, dans l’âme du poète, chante en duo avec les sentimens ou les pensées qu’il exprime.

Pour le moment, c’est lui-même qui se donne la réplique à lui-même dans les poèmes dialogues qu’il appelle des drames. Il est toujours en scène, lui, l’auteur, le poète. S’il est absent, c’est à lui que l’acteur songe, et à qui le public doit songer. Jamais un écrivain n’a moins disparu derrière son œuvre, pour faire place à la diversité et au jeu des caractères, aux passions des autres, aux nécessités de l’action. Les femmes elles-mêmes, dans les pièces de M. d’Annunzio, apparaissent uniquement préoccupées du poète merveilleux, qui leur a donné la vie. Elles ne sont qu’une sensation de volupté pour celui qui les a créées ; un pardon d’amour dont il éprouve le besoin ; un regret, qu’il voudrait savoir brûlant après sa disparition. Toutes ces douloureuses héroïnes ne sont, pour ainsi dire, que des miroirs où le poète se contemple avec son sentiment, son désir, son remords, son caprice de l’heure. Le jour où il veut s’arracher à cette contemplation de soi à laquelle il doit, dans ses poèmes, dans ses romans, voire dans ses pièces, des litanies superbes et qui dureront, il écrit Francesca da Rimini, et il ne nous emporte pas à sa suite, parce que lui-même il ne s’est pas livré, parce qu’il est resté érudit et littéraire, incapable de s’attacher à cette héroïne d’amour à qui il permet d’aimer Paolo, — c’est-à-dire un autre homme que l’auteur du drame.

Peut-être toute l’aventure de M. d’Annunzio tient-elle dans cette définition de Victor Hugo : « Génie lyrique, être soi ; génie dramatique, être les autres. » L’heure où la méditation de ce dogme s’imposera à l’auteur de la Gloire n’est pas encore venue.


Jean Dornis.